Pusher 2 était motivé par les nécessités financières de Winding Refn après son échec américain [Fear X] ; sur le papier il s’agissait donc d’une contrainte. Que le cinéaste la surmonte et nous avec relevait théoriquement de l’improbable. A l’arrivée, il nous livrait un "film de gangsters" si réceptif à l’humanité qu’on en sortait certains d’avoir déniché un concurrent à Casino. Le succès appelant le succès, le dernier opus de la trilogie jouit d’une facture technique nettement plus élaborée, sans rien perdre pourtant de la puissance de sa démarche "brut de décoffrage". C’est que le personnage central, cette fois, est suivi sur un temps nettement plus restreint : celui du dernier jour et surtout de la dernière nuit du reste de sa vie.

La presse, ayant traité la trilogie d’une façon globale lors de sa sortie unique en 2006, en France comme aux USA, pointe assez souvent un troisième opus un ton en-dessous [surtout après le second généralement désigné comme le meilleur], estimant que ses excès justifient une telle annotation. Au contraire, c’est ce jusqu’au-boutisme, ce basculement irrévocable vers la dévastation qui contribuent au vertige obscène qu’engendre le film. Après le retour désenchanté de Tony, Winding Refn nous convie dans un voyage au bout de l’enfer, l’enfer nu de Milo, l’abject parrain qu’on se faisait une joie coupable de croiser.

Il faut dire que l’ogre pétrifié qui se mouvait sous nos yeux avait tout pour une conclusion assez parfaite, car portant en lui tous les stigmates, entretenant les maux et distribuant les épreuves. Milo est l’essence et la victime aliénée d’un milieu qu’il incarne comme personne. Dans Pusher III, c’est devenu un débris au cheminement intérieur contradictoire, avec cette nuance près avec Tony du précédent opus que celui-ci n’a jamais été estimé dans un environnement qu’il ne contrôlait pas, quand Milo est un maître en déclin sur ses terres. Son aura est largement discréditée par une nouvelle génération plus au courant des données du marché, le mettant en échec jusqu’à le réduire à l’état d’ouvrier. Cependant, le donneur de leçons, s’il a des manques, ne peut le parodier décemment.

Le film est assez démonstratif, par à-coups dans ses dialogues, pour signifier que Milo n’est plus en symbiose avec son époque. En fait, Pusher III s’approprie un humour noir acide réajusté par de féroces teintes jaunes. Film des excès, oui. Le style, l’esthétique du film sont davantage exorbités, la bande-son est plus appuyée qu’auparavant. Mais rien n’est gratuit ni pléthorique ; le portrait n’est ni plus ni moins affecté que son sujet. Il est sec, résolu, assume le temps et les illusions qui ont défilées. Il assume, aussi, la profanation du désespoir.

C’est un tourbillon auquel s’abandonne Milo, celui d’une déchéance baroque dans un destin sale, toute faite de soubresauts et d’allez-retours vers les extrêmes. Quand tout s’effondre, tout brûler. C’est la seule façon de se reconnaître encore, de conserver sa conscience. En route pour la somptuosité triviale des abymes élégiaques, Milo est sur le chemin de l’absolu, le seul. Celui où on ne dort plus jamais.

(Ecrit sur le vif il y a plus de 4 ans pour un film resté parmi mes préférés)


http://zogarok.wordpress.com/2014/10/15/la-trilogie-pusher/

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le 15 oct. 2014

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