Pourquoi aime t'on un film ? Y a-t-il d’un ensemble de critères à respecter, de cases à cocher sur une liste bien précise ? Ou bien s'agit-il plutôt d’un sentiment purement instinctif, d’une impression viscérale irrépressible ? Il y a sûrement un peu des deux. S’il est évident que le "ressenti" que l’on a devant une œuvre procède, en grande partie, du domaine de l’inexplicable, il me paraît impossible de décorréler tout à fait l’appréciation que l’on en a de caractères, si non tout à fait quantifiables, à tout le moins mesurables.


« Quand passent les cigognes » est un film soviétique réalisé par Mikhaïl Konstantinovitch Kalatozov, récompensé de la Palme d’or au festival de Cannes en 1958. Adapté d’une pièce de théâtre, le film se situe dans la Russie de la deuxième guerre mondiale. L’on y suit les aventures de Veronica, une jeune fille dont le fiancé, Boris, s’est engagé dans l’armée.


Le film mêle une impression curieuse de métrage amateur, tourné avec peu de moyens, et de grand spectacle aux figurants nombreux et aux mouvements de caméra virtuoses. Cette même distinction se retrouve sur la dualité des scènes d’intérieur, intimistes aux décors réduits au strict nécessaire, et celles tournées en extérieur, glorieuses parades foisonnant de détails et baignées de lumière. Cette division me paraît intéressante dans le sens où, d’un côté, l’effet collectif de la guerre est mis en avant. C’est l’image de tout un peuple qui s’unit, qui se serre les coudes, pour se préparer à l’affrontement contre l’ennemi honni. De l’autre, l’on s’attache plus au particulier, à l’individu, à ses doutes et à sa douleur face aux drames du conflit.


Kalatozov choisit de privilégier cette dernière approche, et propose la vision de la deuxième guerre au travers des (magnifiques) yeux de Veronica, une jeune fille espiègle et enjouée. C’est indéniablement son personnage qui donne véritablement son intérêt au film.
Avant la guerre, la belle vit une relation amoureuse passionnée et idyllique avec son prince charmant, Boris. Celui-ci constitue l’archétype du héros parfait : il est bon, intelligent et courageux. Travailleur exemplaire à l’usine, il n’hésite pas à s’engager pour défendre la Mère Patrie. À l’armée, c’est un soldat modèle… sauf lorsque l’on se montre grossier à l’égard de sa fiancée, qu’il défend alors bec et ongles. Cela ne l’empêche toutefois pas de faire preuve d’un dévouement sans failles envers ses camarades.
Le film prend tout son sel lorsque l’on réalise que, à l’inverse, Veronica est, quant à elle, loin d’être parfaite ! Ce sont ses défauts, ses errements, et, finalement, son évolution qui font la force du personnage. Il faut rendre justice à la performance de l’actrice, Tatiana Samoilova, qui, non contente d’être un délice pour les yeux, propose une interprétation toute en vivacité et détermination.


Alors, pourquoi peut-on aimer – ou ne pas aimer – « Quand passent les cigognes » ?


Il y a un certain nombre d’éléments que je trouve finalement assez mal maîtrisés, ou assez banals dans le film. La première partie est assez sympathique, sans être vraiment fantastique. Le réalisateur se permet également l’utilisation de facilités narratives aussi prévisibles que décevantes… ce n’est peut-être toutefois pas entièrement de sa faute, et je n’ai pas lu la pièce pour me prononcer définitivement. Ça manque aussi un peu de rythme, de musique peut-être, et de séquences réellement marquantes. Il y a aussi quelques personnages un peu trop manichéens qui font grincer des dents.


Et puis, à côté de cela, il y a tout ce côté viscéral. Même si le scénario est assez banal, et que l’histoire n’est pas menée de manière passionnante, l’on se prend d’affection pour les personnages, en particulier pour cette brave Veronica. Et viennent enfin les dix, quinze ultimes minutes du film, celles de la conclusion que l’on attendait, et qui, pour la première fois, nous prennent véritablement aux tripes. L’émotion, attendue depuis le début, est enfin là. Et devant la perfection de la séquence, il convient bien d’être indulgent face aux défauts du métrage, et d’avouer que, quand même, ce n’est pas mal du tout.

Aramis
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le 3 mai 2016

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Aramis

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