Pour tout amateur de film noir, le titre français Qui a tué Vicky Lynn ? à une résonance toute particulière car il nous rappelle une autre interrogation cinématographique, bien plus célèbre encore, à savoir qui a tué Laura Hunt ? La filiation entre Laura et Vicky est-elle évidente ? En tout cas, les deux films se rapprochent sur bien des points et notamment sur la place toute symbolique prise par la femme dans l'histoire : une image aussi belle que néfaste, une icône suspendue à un mur qui domine le commun des mortels, une présence obsédante pour les pauvres mâles qui ont eu le malheur de croiser son regard. C'est par elle que le désir naît, c'est à cause d'elle que la raison chancelle, que les frustrations se font brutales et que la mort survient... Preminger s'est sans doute inspiré de ce film afin d'élaborer cet immense chef-d'œuvre qu'est Laura, se réappropriant notamment une ambiance fantastique déjà perceptible ici.


Si le nom d'Humberstone, illustre inconnu à mon bataillon, n'inspire pas immédiatement confiance, les quelques appréhensions que nous pouvions avoir s'effacent rapidement pour laisser place au plaisir, non feint, de savourer un film noir en bonne et due forme : atmosphère oppressante, ambiance poisseuse, photographie classieuse jouant des clairs obscurs afin de mettre en relief les tourments et les perversités de l'étrange populace : beauté vénéneuse, personnage louche à la gueule improbable ou flic à l'éthique douteuse, personne n'est innocent et c'est là-dessus que va jouer pleinement le scénario de I Wake Up Screaming . Si le suspense autour de la culpabilité de Frankie, l'impresario de la défunte Vicky, peine à véritablement s'installer, celui lié à l'identité du tueur demeure bien réel tant les suspects crédibles sont légion. Alors même si le film n'est pas totalement maîtrisé, avec notamment de fâcheuses baisses de rythme, des scènes qui paraissent inutiles ou une coloration musicale qui détonne un peu trop avec l'esprit "film noir", le piquant de l'intrigue et la délicieuse ambiance qui émane de cette péloche suffisent à notre bonheur.


L'audace est là, narrative notamment puisque I Wake Up Screaming Se permet même le luxe de dévoiler son jeu avant de noyer tout cela derrière un écran de fumée, multipliant adroitement les fausses pistes et les points de vue. L'un des exemples les plus brillants est celui de l'interrogatoire de police durant lequel s'alterneront les dépositions de Frankie et de la sœur de Vicky, déstabilisant ainsi le peu de certitudes que nous avions jusqu'alors. Le montage nerveux, enchaînant avec bonheur flash-back et moments présents, permet une montée en tension des plus délectables. Du moins dans la première demi-heure, un peu folle et diablement prenante. L'audace est esthétique également avec ce jeu sur les luminosités qui distille une douce ambiance fantastique. Certaines scènes semblent surréalistes, rendant ainsi la tension presque palpable : c'est l’interrogatoire où le noir enveloppe littéralement le visage de Frankie, c'est l'obscurité qui envahit l'écran lors de la diffusion d'une vidéo de Vicky et qui semble peser lourdement sur la conscience de l'un des spectateurs. C'est évidemment l'apparition mystérieuse du flic, campé par Laird Cregar, dans la chambre de Frankie dans une séquence qui oscille entre cauchemar et réalité.


Mais avant toute chose c'est bien lui, Laird Cregar, qui donne à l'intrigue tout son piment. Étrange, retord, obsessionnel, il est le personnage trouble par excellence. Son aspect physique intimide, sa froideur mécanique inquiète. Il est le monstre qui surgit de l'ombre, il est l’outre-mangeur prêt à tout pour dévorer sa proie. Dommage qu'Humberstone n'a pas pu, ou n'a pas su, exploiter totalement le potentiel de ce personnage, délicieusement équivoque.

Procol-Harum
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le 29 août 2023

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