Qui/Que voit-on mourir dans "Qui l'a vue mourir ?" ?

Megève, la neige, une femme et une enfant.
Un jeu de cache-cache ...
Une vieille femme en noir dont on ne voit que les gants et le voiles.
Meurtre. Sang. Cadavre caché sous la neige: l'innocence cruellement adultérée puis ré-innocentée.
QUI L'A VUE MOURIR ?
Venise de brume, Venise peu coutumier, loin des bazars pour touristes.
Un artiste en instance de divorce, une bonne société qui encadre son art.
Sa fille rousse qui tente d'entrer dans la ronde des autres enfants.
Meurtre. Sang. Mort du dernier innocent
Vient le temps de ceux qui ont atteint l'âge de la tâche originelle: du sang, du sang et du sang.


Qui l'a vue mourir?, un excellent giallo, tout en esthétique, visuellement extraordinaire, faisant de Venise une ville de mystère, de terreur et de folie, mais aussi ville, non plus de l'amour, mais de résurrection de l'amour sur les cendres de la disparition d'une enfant qui en restait le seul témoin: Qui a vu mourir la relation du peintre et de sa femme, qui l'a vue mourir ? Celle qui meurt et déclenche toute l'affaire. Et, elle, qui l'a vue mourir ? Presque tout le monde et, pourtant, personne n'en dira rien !


Qui l'a vue mourir?, une excellente galerie de personnages dans un merveilleux décor: le mécène charismatique dans sa grande veste noire, coiffé de son chapeau noir contemplant son désarroi dans la brume; le sculpteur moustachu pris d'un sentiment de culpabilité qui se mue en rage vindicative contenue, qui court dans tout Venise, grimpant les escaliers quatre à quatre, forçant les portes et défiant les ruelles malfamées; sa fille, étrange petite fille rousse aux grands yeux, parfois effrayante malgré elle; le craintif et énigmatique aristocrate aux oiseaux qui sent le passé ressurgir et les sauter à la gorge; l'homme-enfant aux échasses perturbé par la vie détruite de sa mère; la jeune femme provocante qui sait tout, ne dit rien ou meurt quand elle tente de le dire; un prêtre trop poli pour être honnête et trop suspect pour être prêtre; l'ex-femme du sculpteur, seul être sublime et à peu près normal dans cette cohorte cauchemardesque. Et, parmi tous ceux-ci, une mystérieuse veuve en noir, tueuse d'enfants et plus, si affinité...


Qui l'a vue mourir?, un choeur enfantin obsédant qui ponctue chaque intervention meurtrière et se tat, brutalement, avec le frac final du corps assassin sur les pavés de Venise. Un choeur de petits chanteurs dirigé par le Maître Morricone, qui ne cessera de nous surprendre. Un choeur comme ceux d'autres gialli, thrillers à l'italienne, qui s'en enorgueillissent moins à l'accoutumée, tant les musique plus énigmatique à une voix plus tue s'avère en général plus efficace. Mais un choeur ici très efficace, au contraire, témoin des meurtres, complice peut-être même, incarnation vocale de l'assassin lui-même et du mal psychique qui le ronge. Un Choeur de tragédie, en somme, qui suit des événements qu'il sait sans avoir d'emprise sur eux. La réponse au titre du film: Qui l'a vue mourir ?


Qui l'a vue mourir, de quoi plaire aux inconditionnels de l'agent 007, confrontant d'une part le héros George Lazenby, d'autre part le méchant Adolfo Celi. L'ex-James Bond, méconnaissable, de partout émacié et amaigri, gratifié de bacchantes pendantes, et pourtant témoin de ce qu'aurait moralement pu être son James Bond suite à Au Service Secret de Sa Majesté, être aimé et si inquiétant, obsédé par sa soif de vengeance. L'ex-Largo d'Opération Tonnerre, lui aussi assez méconnaissable, plus vieux, lunettes au nez, plus calme aussi, qui ouvre mortellement la dernière porte de la randonnée mortelle du film. Et un coupable, à un instant, caché derrière un fauteuil à la manière d'Ernst Stavro Blofeld et plus généralement proche du Colonel Bouvard de pré-générique d'Opération Tonnerre.
Et pourtant bien un giallo, à l'image du potentiel personnage éponyme, campée par la petite Nicoletta Elmi, abonnée aux rôles de petites filles dans les gialli des seventies. Ce qui reste d'un monde, culturellement simultanéiste, où chaque culture et son cinéma savait emprunter à d'autres pour s'approprier son modèle et non se fondre en lui. James Bond prête au giallo mais le giallo reste giallo. Le pourrait-on encore aujourd'hui, quand le culturel est cosmopolitement réduit à un chaos d'un pot-pourri où domine l'american way of life? Qui a vu mourir la culture du cinéma proprement italien: qui l'a vue mourir ? Nanarland, sans doute, qui a contribué à l'assassiner.


Qui l'a vue mourir ?, un final dantesque, impressionnant, dans une église où le mal, décomplexé, se signale à l'orgue pour mieux désespérer sa proie, comme un vampire. Un final en lutte à mort, où le démon prend feu, tout humain qu'il soit, connaît une chute lourde de toutes les morts qu'il a causées, son leitmotiv lancinant poussé à son paroxysme, le tout mourant d'un coup, très réel, le cadavre, bien humain, s'étant heurté au sol. Une prolongation aussi, pour voir partir le couple reforgé dans ce terrible creuset, en bateau vers le soleil levant, croisant le Salut, du moins la basilique de ce nom qui garde la Ville éphémère.


Qui ne l'a pas vue mourir? Le spectateur que le ballet incessant de personnages parfois semblables, que le rythme volontairement lent puis non moins volontairement rapide, comme un coeur paisible mais en spleen qui s'accélèrerait devant l'horreur puis la reprise du cours de la vie, loin d'une Venise cercueil où tout est lent et las, destiné à sombrer. On peut se sentir un peu perdu devant ce rythme, ces révélations en bouquet final, ces faces qui se ressemblent, mais n'est-ce pas là aussi le dessein du film ? Un giallo qui, servant les codes du genre, doit nous faire perdre pied ? Un film dont le titre - chose rare au théâtre comme au cinéma, pour des raisons superstitieuses - est une question, qui plus est ponctuée d'un point d'interrogation qui n'a rien d'anodin ou de purement grammatical.
Sans doute aussi un spectateur raffiné que l'érotisme exigé par le genre ne va pas enchanter, ici trop cru, pas assez fétichiste ou suggestif.
Certainement le spectateur biberonné au cinéma calibré à l'américaine, qui aura l'impression qu'on se moque de lui, qui prétextera être sorti de l'histoire pour le moindre petit pois, qui ne se remettra pas des vieux téléphone ou système d'home cinéma typique de l'époque, ou même qui n'apportera plus aucun crédit au film après le visionnage du film dans le film, preuve accablante contre les coupables, qui lui semblera un extrait de Qui a tué Pamela Rose avec Adolfo Celi dans le rôle de Gérard Darmon.


Qui l'a vue mourir?
Qui l'a vu, mourra certainement moins bête
Qui ne l'a pas vu aura ses raisons.
Quoi qu'il en soit, il est bien difficile aujourd'hui de pouvoir voir Qui l'a vue mourir?
Mais qui pourrait refuser d'essayer de le voir avant de mourir ?

Frenhofer
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le 18 avr. 2021

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Frenhofer

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