Drôle de destin que ce film qui fut jugé anti-féodal par les japonais, puis féodal par les américains, sorti (enfin!) 7 ans plus tard après qu'on autorise les cinéastes de réaliser des films historiques. Alors bon, c'est une belle vieillerie, mais qui a le mérite d'annoncer certains films à venir de Akira Kurosawa: Les 7 samouraïs (nombre de guerriers identique, et le code d'honneur inébranlable porté par leur chef), La forteresse cachée (le caractère picaresque introduit par le porteur, et le code des samouraïs mis à lourde contribution pour la sauvegarde de leur protégé), et un petit peu Le château de l'araignée (les chants traditionnels qui viennent souligner certains éléments dramatiques de l'histoire).


L'histoire est très simple, scandée en 3 actes principaux autour d'une frontière à franchir (avant, pendant, après). A la suite d'un conflit entre deux Seigneurs et frères, l'un d'eux s'enfuit, protégé par 7 samouraïs déguisés en moines, accompagnés d'un porteur rigolard et gaffeur (qui annonce les deux paysans de La Forteresse cachée) entraîné dans une aventure à son insu. Il s'agit de la meilleure invention du film, qui tranche radicalement avec le ton sérieux des samouraïs, et découvre le subterfuge en parlant trop. Or, l'enjeu (unique!) du groupe est de franchir la garde-frontière, et doit pour cela user de ruse, plaçant la survie de leur Seigneur au dessus de leur bravoure et de leur valeur au combat (il leur montre d'ailleurs la voie en prenant le poste le plus bas). Ainsi, l'autre aspect intéressant est la représentation du samouraï, qui devient aussi pacifique que le personnage qu'il incarne (marquée par un tour de force: cette lecture improvisée d'un sauf-conduit pourtant vide) pour masquer son identité, et doit ainsi paradoxalement trahir une partie de son code pour préserver la vie de tout le monde. Un véritable drame moral pour ces demi-dieux du Japon, mais qui par l'entremise du porteur, devient une demi-farce.


Mais à part ça, à savoir un personnage picaresque contrastant avec le sérieux exigé du genre et le code des samouraïs ridiculisé au service de la mission, il s'agit d'un film assez pauvre en enjeux. En outre, la mise en scène est vraiment théâtrale et statique (les 3/4 du temps les personnages marchent ou sont assis pour parler, au milieu d'un décor de studio, avec des mouvements de caméra limités : la dynamique émerge uniquement des personnages), l'interprétation est forcée par moments (c'est le propre du Nô), et les personnages secondaires sont à peine esquissés (à part le chef des samouraïs et le porteur, les autres font de la figuration comme marqueurs de tension du groupe). Enfin, le rythme donne l'impression que le film dure deux fois plus longtemps malgré sa courte durée. Mais il faut reconnaître que Kurosawa ne s'en tire pas trop mal avec des contraintes budgétaires visiblement très serrées.


Bref, Les Hommes qui marchèrent sur la queue du tigre est un film à conseiller uniquement aux archéologues du cinéma, et à ceux qui veulent mieux connaître certaines bases des futurs films de Kurosawa, où on y découvre un contenu moral bien présent.

Arnaud_Mercadie
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le 26 avr. 2017

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Dun

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