Ralph 2.0
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Ralph 2.0

Long-métrage d'animation de Rich Moore et Phil Johnston (2018)

Une oeuvre bicéphale à l'ère du binaire.

CRITIQUE SANS SPOILERS


"Ralph 2.0" n'est pas une catastrophe et pourtant, ses 50 premières minutes font beaucoup d'efforts pour en donner l'impression.


Avant d'entrer dans le vif du sujet, je passe sur l'excellence de l'animation et l'imagination sans faille des créateurs pour donner vie à cet univers riche, foisonnant et cohérent. On perdra moins de temps ainsi à souligner ce qu'on sait déjà sur Disney depuis...les années 30. Environ.


Digne des pires Dreamworks, la première partie du film accumule les gags pas drôles et les dialogues ineptes entre des personnages qui ont perdus leur mojo. Il ne manquait plus qu'un prétexte tout pourri pour lancer l'histoire et nous voilà donc dans Internet qui, dans le film, est la révolution technologique de 2018 pour tout le monde. Je veux bien que la salle d'arcade soit vieux jeu (hihi) mais faut pas pousser. Déjà une salle d'arcade aujourd'hui, c'est raide à trouver et à faire vivre alors si elle n'a pas Internet...bref je m'emballe.


Nous voilà donc à la recherche d'un volant sur EBay pour réparer Sugar Rush mais en fait il faut de l'argent et donc il faut jouer à un jeu mais ce serait mieux de...


Tu t'es endormi(e) ? C'est normal car tout cela n'a absolument aucun sens sinon celui d'essayer de donner une vague trame, une colonne vertébrale à ce qui est d'abord un high-concept. Soit deux héros de jeux-vidéos perdus dans la jungle tourbillonnante, épileptique et futile d'Internet. Rien de plus pour le moment. Et si déjà les placements pour Subway, Nesquik, Oreo et Mentos du premier film continuent de te faire hurler, "Ralph 2.0" a décidé d'être ton pire cauchemar.


C'est là qu'éthiquement, j'ai un vrai souci avec le film. Je suis sûrement vieux jeu (hoho) mais ça me fait chier que dans un film d'animation, où chaque plan est sciemment conçu, des mecs passent des centaines d'heures à faire en sorte qu'on voit bien Google, Amazon et les autres firmes qui ont payés grassement pour être là. Va savoir, dans le cinéma live ça ne me choque pas mais sur les films d'animation, ça ne passe tout simplement pas et le communiste en moi se réveille. C'est irrationnel, je sais.


Enfin oui et non car à l'image de l'infâme "Le Monde secret des Emoji", aucun discours, aucune ironie ne point quant à l'utilisation de ces marques sinon quand cela touche aux propriétés Disney. On respecte donc bien volontiers l'ordre établi, on montre des méchants tweets mais sans citer explicitement Twitter (ba oui, ils ont payés pour être des gentils zozios bleus) et jamais, jamais on ne remet en cause notre monde 2.0 ou notre comportement maladif vis à vis de celui-ci. Il n'est qu'un support, un terrain de jeu inoffensif. Qu'on se comprenne, je ne souhaite absolument pas que le film nous fasse la morale mais ne jamais remettre en question le dieu numérique, même un instant, revient pour moi à s'y soumettre aveuglement.


Je passe donc sur les premiers événements du film qui n'apportent rien sinon des gags à deux sous et des situations automatiques. Tout juste puis-je dire qu'on aurait pu trouver meilleures péripéties qu'une course dans un simili-GTA et faire le buzz avec des vidéos virales débiles. Surtout quand, là encore, il n'y a pas de discours sous-jacent.


Et puis, à un moment, nos deux héros sont séparés au profit, là encore, d'un prétexte narratif. Et le film change complètement de voie, délaissant son enjeu moisi (dont il se fichera comme d'une guigne par la suite) pour des terres bien plus engageantes. Notamment un tour jouissif et ironique, dans les propriétés Disney peuplées de stormtroopers idiots, de super-héros et des hilarantes princesses. La meilleur scène de comédie du film leur revient d'ailleurs pour un moment on ne peut plus dans l'ère du temps. Un moment continuant d'appuyer le féminisme Disneyen un poil forceur des années 2010. Mais un moment qui marche, vraiment et où l'on rit beaucoup y compris dans le fan-service.


Ça marche d'autant plus que la scène à un intérêt réel, celui de révèler le vrai coeur du film : "Ralph 2.0" est une histoire d'émancipation. Comme le premier opus où Ralph quittait son jeu pour finalement comprendre qu'il devait avant tout s'aimer lui-même. Ici, c'est Vanellope qui cherche à trouver du neuf dans son existence et donc à s'émanciper, y compris vis à vis d'un Ralph possessif. La petite fille doit quitter en quelque sorte l'enfance et ses repères pour trouver sa voie et la forme que le récit prend devient alors bien plus intéressante. Et je ne dis pas seulement ça parce qu'on a droit à une chanson d'Alan Menken, pleine de second degré et dans la plus pure tradition Disney. Non c'est pas mon genre.


Se resserrant sur l'intime, décidant enfin de se centrer sur ses personnages et leurs enjeux personnels, le film décolle et met en jeu avec beaucoup de finesse, d'intelligence et d'émotion la mise à l'épreuve d'une amitié où le statu quo et le lâcher prise ne pourront plus cohabiter. Au-delà d'être psychanalytiquement captivant dans sa deuxième partie (aussi bien sur le fond que la forme), je pense ne pas être le seul à pouvoir dire que le film m'a parlé droit dans les yeux, douloureusement parfois mais toujours avec bienveillance pour le futur.


Est-ce que ça pardonne le côté putassier du film, son inconséquence, son déséquilibre, ses imperfections, ses artifices et ses oublis (sous-intrigues et persos du 1 au bord de la route) : NON. Mais le plus important est sauf, "Ralph 2.0" à bien quelque chose à raconter, quelque chose de profond et de fort, autant que "Zootopie" ou le premier volet. Et s'il n'avait pas cédé aux sirènes digitales et mercantiles et à la facilité au démarrage, il aurait pu s'imposer comme ses pairs. En tout cas plus que comme ce résultat mi-figue, mi-raisin.


Après, pour un film Disney qui commençait comme le pire des Dreamworks, il se termine comme les meilleurs Pixar. C'est donc qu'au finish, "Ralph 2.0" n'est pas si mal pour une catastrophe.


PS : La scène post-générique est très drôle aussi.

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le 25 nov. 2018

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Adrien Beltoise

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