le 24 janv. 2011
Mensonges d'une nuit d'été
Curieusement, ça n'a jamais été la coexistence de toutes ces versions différentes d'un même crime qui m'a toujours frappé dans Rashomon (finalement beaucoup moins troublante que les ambiguïtés des...
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/SPOILERS/
J’avais hâte de voir ce film d’un réalisateur qui m’a offert quelques unes de mes meilleures expériences cinématographiques, d’autant plus qu’il s’agissait là d’un de ses films les plus reconnus et appréciés. En sortant de la salle, je conservai un goût d’inachevé, de déception. Pourtant, Rashômon est loin d’être raté, et le coeur du film est même vraiment bon. Ainsi, son intérêt principal tient dans la juxtaposition des quatre récits, où les trois protagonistes concernés racontent successivement les faits en se présentant sous leur jour le plus honorable, avant qu’un témoin, le bûcheron, n’apporte un récit objectif dont le contraste avec les trois précédant est saisissant. De fait, après avoir écouté le bandit narrant son combat épique contre le mari, pour servir la volonté de la femme ; la femme narrant les outrages qu’elle subit, entre le viol du bandit et le mépris du mari ; et le mari narrant son digne suicide après que sa femme a été violée et s’est enfuie ; le récit du bûcheron apporte une toute autre réalité. Aux antipodes de ces portraits glorieux, il décrit deux hommes ridicules, tétanisés par la peur de la mort, aussi bien le soi-disant terrible bandit que le mari modèle, se battant avec panique et lâcheté de manière parfaitement pathétique. La femme, elle, est réduite à une geignarde insupportable qui fait la fière en exigeant un combat à mort pour finalement être autant traumatisée qu’eux lorsque celle-ci survient.
Notons au passage que lors de leur récit, les trois protagonistes s’accusent du meurtre du mari (dans des conditions honorables), car il leur est plus important d’apparaître vertueux qu’innocent, y compris lorsque la culpabilité peut mener à une condamnation à mort. Cette vision de l’honneur primant sur la vie semble très japonaise et surprenante d’un point de vue occidental.
Le film tire sa force de l’opposition entre les trois premiers récits et le quatrième, car elle traduit la délicate ironie de Kurosawa se moquant de la ridicule vanité des Hommes, eux qui cherchent toujours à se parer d’une force d’âme qu’ils ne possèdent pas : le bandit trompe-la-mort, la femme osant tuer son mari pour réparer l’affront de son mépris, le mari se suicidant de chagrin… Au lieu de ça, ils feraient mieux d’assumer leurs faiblesses intrinsèques à leur nature humaine, semble signifier le récit du bûcheron en les humiliant d’autant plus qu’ils se sont vantés auparavant. Par ailleurs, cette moquerie n’est pas agressive ou amère, elle est même plutôt affectueuse, paternaliste : Kurosawa se moque gentiment de ses personnages, et de l’humain avec, comme d’enfants capricieux, en leur faisant la leçon à travers l’exposition de leurs failles. Ainsi, le propos est pertinent, subtil et amusant, puisque le film revêt aussi bien un caractère cynique par le jugement sévère qu’il porte sur la condition humaine qu’un aspect humoristique par l’ironie légère qu’il emploie.
De plus, on peut remarquer l’impressionnant travail sur la temporalité, puisque le réalisateur va multiplier les scènes d’attentes où le spectateur sait ce qu’il va se produire mais doit longuement patienter avant de le voir à l’écran : assassinat du mari par sa femme, suicide du mari, course du bûcheron avant la découverte du corps, pleurs de la femme, duels… Enfin, ce coeur du film constitué des récits est isolé du reste du film par le réalisateur lui-même, qui oppose des scènes se déroulant dans un temple en ruine et sous une pluie battante, à des scènes se déroulant en forêt et où la musique du film (très bonne d’ailleurs) remplace le bruit de la pluie tout le temps du récit.
Justement, ma déception vient du reste du film. Déjà, le double emboîtement des récits (les vagabonds du temple racontent le procès où ils ont raconté l’histoire que le film traite) n’apporte pas autre chose que des longueurs à mon avis, et éloigne le film de son sujet principal : les récits eux-même. Ensuite, et surtout, le film est terriblement peu subtil, alors qu’il aurait pu l’être s’il s’était limité à l’histoire qu’il raconte. Au lieu de ça, les trois vagabonds qui nous relatent les faits multiplient les banalités, les grande phrases pataudes sur l’humanité, les sentences banales et les sermons, explicitant de manière beaucoup trop grossière le propos du film et rendant les trois narrateurs vraiment insupportables, à l’inverse des trois protagonistes qui sont eux intéressant dans la satire des Hommes qu’ils proposent. C’est ce qui me fait qualifier Rashômon de Kurosawa pour enfants : le film est court (par rapport aux habitudes de son réalisateur) ; les duels au sabre sont bien chorégraphiés ; il est mis en scène comme une jolie fable avec son bandit, sa princesse, son chevalier servant et sa forêt enchantée ; et surtout sa morale est appuyée avec des sabots pointure 54. En revanche, pour un adulte, cette lourdeur est franchement infantilisante et désagréable.
D’ailleurs, chaque fois que le film apporte une nouvelle dimension à son propos et que le spectateur espère qu’il maintienne la délicatesse avec laquelle elle est amenée, celle-ci est pesamment explicitée dans la scène suivante. Ainsi, lorsque le bonze a un mouvement de recul face au geste de bonté du bûcheron qui se propose de recueillir l’enfant abandonné, on pense à cette phrase de Nietzsche « ce qui me bouleverse, ce n'est pas que tu m'aies menti, c'est que désormais, je ne pourrai plus te croire », c’est-à-dire que le plus terrible avec l’égoïsme et les mensonges des Hommes n’est pas les actes eux-même qu’ils engendrent, mais la perte de confiance qui en découle et qui fait perdre toute possibilité de cohésion sociale et de solidarité. À cet instant-là, un nouveau sermon du bonze sur sa honte d’avoir momentanément perdu sa foi en l’humain à cause de l’habitude de son égoïsme se charge de bien s’assurer que le spectateur reçoive le message. Enfin, la touche finale d’espoir avec le bébé recueilli généreusement par le bûcheron est assez incongrue, ne se plaçant ni dans le prolongement du cynisme du film ni dans celui de sa délicate ironie. D’ailleurs, choisir une naissance sortie de nulle part pour symboliser l’espoir à la fin d’un film, on a vu plus original et plus subtil, y compris chez Kurosawa.
Finalement, Rashômon m’est apparu comme un film dont la finesse du sarcasme dirigé contre la vanité humaine est partiellement gâchée par une maladresse et une lourdeur dans la transmission du propos assez regrettable chez un tel réalisateur.
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Créée
le 22 sept. 2020
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le 24 janv. 2011
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