"Vivre...vivre doit être une sacrément belle aventure"

Quoi de mieux qu'un film de Tonton Spielberg pour sortir Post-générique de son hivernation?


Il faut dire qu'à l'exception de janvier, où Aaron Sorkin permettait à Jessica Chastain de littéralement nous sortir Le Grand Jeu et Steven, lui-même, qui nous offrait un Pentagon Papers convaincant, 2018 n'a pas réellement démarré sur les chapeaux de roues d'une vrombissante Delorean.


Et soyons sérieux un instant, nous n'avons pas vraiment pu compter sur l'archi-convenu La Forme de l'Eau (néanmoins esthétiquement réussi) pour envoyer la dose de rêve attendue.
A moins que vous ne soyez branchés sexe inter-espèces mais comme disaient Les Inconnus:"cela ne nous regarde pas".


Revenons à nos moutons de pixels ou plutôt à cette claque qu'est l'adaptation de Ready Player One et balayons d'entrée vos doutes au regard des bandes-annonces : non, le film n'est pas une infâme bouillie d'effets visuels qui ne raconte rien. Oui, les FX sont au service de l'histoire et oscillent entre l'assez joli et l'époustouflant sur le produit final. Ouf.


Prenant place en 2045 à moitié à Columbus, Ohio, et à moitié dans un monde virtuel appelé l'OASIS, l'oeuvre suit l'histoire de Wade Watts (Tye Sheridan) durant sa recherche de l'Easter Egg (parfaitement de saison, donc) caché par le créateur de (et dans) l'OASIS lui-même, James Halliday (Mark Rylance).
D'ailleurs, totalement obsédés par la réalité virtuelle en guise d'échappatoire au monde réel à l'agonie, la plupart des humains chassent cet Oeuf, un trésor qui donnerait accès au contrôle total de l'OASIS ainsi qu'à une incommensurable fortune.
Un pouvoir alléchant à ne pas mettre entre n'importe quelles mains...


Inutile de trop en dévoiler: il va sans dire que les péripéties sont légion dans cette quête qui nous fera voyager dans l'univers de Ready Player One; on peut même sentir d'emblée que Spielberg s'est fait violence pour faire rentrer toute l'exposition nécessaire à l'immersion dans cette réalité alternative.
Mais, heureusement, le réalisateur visionnaire parvient rapidement à prendre pleinement contrôle du monde fourmillant de détails qu'est l'OASIS, où les seules limites sont l'imagination de chacun.


Alors oui, on peut déjà voir d'ici le public faire des arrêts sur image dans un futur proche pour saisir toutes les références à la pop culture qui sont faites dans le film et pourtant..pourtant Steven Spielberg ne s'écarte qu'assez peu de sa voie narrative pour faire des clins d'oeil gratuits.


Il laisse plutôt cette culture s'entrechoquer à l'écran et fait même dire à l'un des protagonistes "d'oublier la moto" lorsqu'on lui parle de l'apparition du bolide d'Akira, nous conseillant ouvertement de suivre le parcours du personnage qui pilote au lieu de s'ébahir devant l'engin lui-même.


Ainsi, peu intéressé par l'idée de se livrer à une parade nostalgique ou autre foire à l'easter egg, le cinéaste met l'accent sur son héros qui a consacré sa vie à étudier celle d'un autre pour lui donner de la substance; Wade ne possède que peu de choses, mais il connaît tout sur son idole Halliday, ce dernier ayant laissé un immense héritage culturel et audiovisuel derrière lui (mais toujours rien pour David et Laura, puisque vous le demandez).
Et bien que le scénario ne s'interroge jamais sur les obsessions de fans en tant que telles, il se demande jusqu'où "être fan" peut finalement mener.


En d'autres termes, il ne s'agit pas d'un concours géant visant à désigner qui est le plus grand fanboy/-girl, mais plutôt de savoir ce que cet héritage culturel pourrait devenir entre les mains de ces fanboys/-girls.
Le film aurait donc difficilement pu faire mieux pour encourager les spectateurs à unir leurs forces pour être les créateurs de demain au lieu de se laisser brosser dans le sens commercial du poil.


Ready Player One prend par instants un malin plaisir à enjamber la clôture du fanboyisme sans jamais s'y prendre les pieds et c'est là qu'on reconnaît toute la maîtrise du metteur en scène quand il s'agit de raconter une histoire avec légèreté, peuplée de personnages attachants.
Une atmosphère qui n'est pas sans rappeler l'appel à l'évasion modérée qu'était déjà Hook, avec son Pays Imaginaire et ses Enfants Perdus, mais aussi le côté plus terre-à-terre et techno-thriller de Minority Report.


Ce dernier ayant quasiment fait l'unanimité à l'époque, les détracteurs de Hook pourront par contre s'en donner à coeur joie sur ce Ready Player One qui dégage le même manichéisme et la même innocence.
Une candeur sans laquelle un spectacle estampillé Amblin n'en serait pas vraiment un.


Au détour de plans incroyables de dynamisme et d'inventivité, le créateur du tout premier blockbuster rappelle d'ailleurs que le sensationnel doit rester au service du divertissement et non l'inverse.
Il met donc un point d'honneur à enterrer la majorité des grands spectacles de la décennie en cours, que ce soit lors des scènes les plus rythmées ou au contraire les plus intimistes, le bonhomme sait comment faire naître du pur fun au sens noble, à savoir jouissif et vecteur de frissons sans être régressif.


Il réussit également à rendre la trame du roman d'Ernest Cline plus personnelle : comment ne pas voir en James Halliday le Steven des débuts, rêveur socialement inadapté, peu confiant avec la gente féminine?
Puis en Wade Watts le Spielberg qui évolue, tout aussi rêveur mais plus proche des gens et plus à même de fonder une "famille".
Et enfin en Nolan Sorrento, l'homme d'affaires sans scrupule, la part productrice du cinéaste, celle qui a parfois dû faire preuve de roublardise pour vendre ses oeuvres couteuses.
Steven Spielberg réunit effectivement une partie de ce trio en lui et cet autoportrait inédit frappera en plein visage tout amateur de sa riche carrière.


Pour autant, le scénario de Ready Player One demeure un édifice très ambitieux mais imparfait, laissant apparaître quelques ficelles conférant un gain temps : des personnages secondaires sous-exploités et quelques "heureux hasards" un peu plus visibles que dans d'autres divertissements du Maître.
Gageons toutefois que la réalité virtuelle, par analogie à nos réseaux sociaux, permettrait aux gens de se confier, de s'attacher et "d'aimer" plus rapidement que dans le monde réel.
Sentiment totalement perceptible grâce au rythme effréné du long métrage.


Et que dire du travail d'Alan Silvestri sur la bande-originale?
Amené cette fois-ci à remplacer l'immense John Williams (déjà occupé sur Pentagon Papers), le compositeur de Retour Vers le Futur et Forrest Gump joue la carte de la nostalgie et de l'auto-référence à plein régime.
Il n'oublie cependant pas de proposer un joli thème tout neuf qui permet d'appuyer les remarquables prestations des acteurs principaux lors des scènes les plus touchantes de l'œuvre.


Pour conclure, il y a quelques années, Steven Spielberg déclarait que la formule du blockbuster était vouée à l'échec car devenue principalement mercantile et formatée par des faiseurs interchangeables.


Avec Ready Player One et à 71 ans au compteur, il remet les pendules à l'heure en rendant au genre ses lettres de noblesse; il nous offre ce superbe oeuf de Pâques en guise de Saint-Graal, une petite merveille au délicieux goût Amblin recélant de vibrantes surprises que votre serviteur s'est bien gardé de vous dévoiler.
S'il n'y avait qu'un grand spectacle à voir sur le plus grand écran possible cette année, c'est à n'en point douter celui-là.


Dépassez vos a priori et assistez à la naissance d'un (futur) film culte.


(Ma version ado aurait mis 10, sans hésiter.)


postgenerique.blogspot.com

christophe1986
9
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le 9 avr. 2018

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christophe1986

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