Un après-midi en démocratie

ssUn film peu ordinaire, puisqu'il ne fait que reconstituer une scène qui se serait réellement déroulée, sur la base de la retranscription d'un interrogatoire enregistré par le FBI. D'où le double sens du titre, puisque Reality est également le prénom de la lanceuse d'alerte interrogée. Cette dernière, traductrice pour une entreprise qui travaille pour la NSA, étant accusée d'avoir transmis des documents classifiés à un organe de presse indépendant (the Intercept), qui a par ailleurs mis en ligne la retranscription du dit interrogatoire (lien ci-dessous) :

https://www.documentcloud.org/documents/4334950-Reality-Winner-Interrogation-Transcript

Peu d'acteurs (Reality et l'équipe du FBI chargée de la confondre), unité de temps (un après-midi), unité de lieu (le domicile de Reality) ou presque : cela donne un film anatomique, glaçant. Une journée de juin comme les autres qui pour la victime bascule en quelques heures dans l'irréel. Elle revient de ses courses à 15h et elle va finir sa journée embastillée. Et on peut deviner que la justice ne sera guère clémente envers elle : quelque soit la nation pour laquelle ils travaillent, les services secrets n'aiment pas les fuites. On pourra en apprendre un peu plus à la conclusion du film, ou en consultant internet, puisque l'histoire est 100% véridique. La réalisatrice a poussé le souci du détail à choisir une actrice qui présente une ressemblance physique avec la vraie Reality Winner (une petite blonde à qui on donnerait le bon dieu sans confession). Cette dernière peut d'ailleurs difficilement être qualifiée de terroriste (elle a travaillé pour l'U.S Air Force) ou de mauvaise citoyenne des États-Unis (elle a plusieurs armes chez elle).

Le spectateur va ainsi assister à une implacable mise en œuvre des techniques d'interrogatoire du FBI : entrée en matière façon cool, montée de la pression avec l'arrivée d'une équipe technique chargée de la fouille du domicile et pose des rubans "scène de crime". Puis laisser mariner la suspecte (tout en montrant de l'empathie envers elle) et lorsqu'elle est à point, l'isoler dans une pièce tranquille et lui faire avouer peu à peu son acte, en dévoilant ce que l'on sait au moment où on la sent en position de faiblesse. Bon là, j'ai un peu l'impression d'avoir résumé le film, ce n'est guère dans mes habitudes, mais que dire d'autre ? Dans la forme, ça fait un peu penser à Garde à vue, sauf que, ici, le film porte un message politique fort.

La question de la façon dont sont traités les lanceurs d'alerte dans une société prétendument démocratique est en effet un sujet qui a de quoi interroger : que ce soit dans le domaine diplomatique et militaire (Assange, Snowden...) ou dans celui des affaires et de la finance (Gibault, Frachon, Deltour...), ils sont généralement considérés par les régimes au mieux comme des emmerdeurs et au pire comme des nuisibles à enfermer, voire à exterminer (au propre ou au figuré). Pour un pouvoir en place, toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, car elles peuvent déranger des intérêts ou des positions sociales. Mais, pourtant n'est-il pas salutaire de fendiller de temps à autre l'écran sur lequel est projeté aux citoyens la fiction d'une société parfaite ? Car l'allégorie de la caverne n'a pas pris une ride, semble-t-il.