Rebecca
7.6
Rebecca

Film de Alfred Hitchcock (1940)

Le réalisateur britannique pose ses objectifs à Hollywood et entame sa longue collaboration avec le producteur David O. Selznick. Nouvelle adaptation d'une œuvre de Daphne du Mourier, Rebecca trompe son monde le temps d'une romance un peu naïve avant de laisser l'atmosphère oppressante prendre le dessus pour 


un suspense aux allants presque surnaturels.



Avec un casting superstars, Alfred Hitchcock démonte la baraque et livre un film impressionnant, toujours sur le fil de l'émotion, où l'absence omniprésente d'un personnage conditionne avec fermeté la liberté du couple à l'écran. Le métrage, nominé dans onze catégories, sera récompensé des Oscars du Meilleur Film et de la Meilleure Photographie.


Un riche veuf aux humeurs inégales, une jeune et belle orpheline débordant d'amour et de joie, une propriété aux fastes démesurés en Cornouailles, une gouvernante sèche et guindée, et le fantôme lourd d'une défunte, Rebecca tourne autour du deuil et de l'espoir. Le cinéaste rappelait souvent que la réussite d'un film tient à la consistance de son antagoniste principal,


sa maestria impressionne ici où cette antagoniste, morte, n'apparaît jamais



et pose pourtant le poids insupportable de son fantôme sur le bonheur du couple. Le poids de l'absence, celui des attentes, des interdits, des non-dits, Rebecca est tout cela à la fois, elle impose post-mortem ses habitudes et ses exigences passées, comme empreintes d'une volonté ferme et inextricable.
Photographie magnifique : bords de mer clairs et lumineux où la brise apaise, respire, contre fastes des ors d'une noblesse de caste oppressants et ombres spectrales d'un décès inexpliqué. George Barnes, directeur de la photographie sublime chaque séquence, inonde de lumière les intérieurs abandonnés où les souffles de la défunte vibrent encore, caresse de douceurs les visages des personnages principaux. Les cadres et les mouvements de caméra sont un cran au-dessus de ce que proposait le cinéaste britannique dans son film précédent – et c'était pourtant déjà très beau. Les décors, tour à tour, resplendissent, étouffent, abritent ou cèdent leurs indicibles vérités. Bref,



noir et blanc superbe de justesse, de réalisme, de tension et d'émotions.



Si la mise en scène vue dans son ensemble peut paraître classique, c'est dans le découpage et le soin apporté à l'échelle des plans qu'elle tient la narration sur le fil fragile d'un suspense qui d'abord ne dit pas son nom avant de s'insinuer sans préavis, irrémédiablement, jusqu'à l'insupportable. 


Angoisses garanties !



Sans oublier la prestation des comédiens : l'ensemble du casting est au diapason de l'exigence. Laurence Olivier en tête donne l'épaisseur contrariée de ce veuf en quête de rédemption et pourtant incapable de saisir simplement le bonheur où il se trouve, ses éclats de voix et ses colères viennent crier ses fragilités avec une intensité rare. Joan Fontaine, la jeune épouse, ajuste à merveille ses déconvenues et ses désespoirs, incarne avec précision les méandres incertains de cette relation qui cherche à se construire sans base solide, où le bonheur se dérobe d'une robe, d'une promenade, d'un bibelot brisé, et se laisse admirablement dévorer par la gouvernante autant que par le fantôme absent. Judith Anderson, la gouvernante tient l'imperturbable menaçant avec une rigidité non-feinte, entière, suintante de véracité, de dureté puissante, écrasante. Le trio, encore une fois, impressionne : laisse son empreinte avec force, avec talent, et sans jamais vaciller, sans jamais appuyer.


Rebecca place d'entrée Alfred Hitchcock dans la cour des grands d'Hollywood. Le plaisir se démultiplie dans le voyage des genres, le rythme narratif y est quasiment parfait – quelques petites longueurs à mi-métrage – et l'atmosphère particulière qui s'y décompose emmène le spectateur au bord de l'affolement et de l'angoisse. Il y a de l'inconfort idéalement dosé pour laisser frémir le suspense aux moments adéquats, 


une alternance intelligente de décontraction, d'anodin, et de plomb, de tensions inattendues,



qui vient malmener à point les émotions : c'est grand voyage, probablement un des meilleurs films du maître es suspense que deviendra Alfred Hitchcock au cours des deux décennies suivantes.
Je sais je me répète mais je ne trouve pas d'autres mots :



impressionnant !


Créée

le 21 août 2018

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