Tudieu ! le retour de Jacques Perrin dans le rôle du protagoniste vieilli en narrateur nostalgique… On se croirait revenu dans les Choristes, et déjà le pire parait inévitable, loi de Perrin oblige.


Sacrifier toute la deuxième partie du roman (le parcours de Rémi sans Vitalis, recueilli par la famille de jardiniers, puis de nouveau seul et enfin avec Mattia), certes pourquoi pas ? Sans doute même était-ce inévitable, faute pour le réalisateur de disposer d’au moins trois heures pour son film. Un mal pour un bien ? Pour son adaptation du Tambour, Schlöndorff déjà avait eu la sagesse de s’en tenir à la première partie du livre, et de signer ainsi un chef-d’œuvre. Ici, malheureusement, on en est à des années-lumière, du chef-d’œuvre…
Pourquoi avoir fait une croix sur Zerbino et Dolce ? Problème de budget ? La faute à Perrin, sans doute… Pourquoi avoir fait du blanc Capi le noir Zerbino ? Non, ne me dites pas… Le politiquement correct ? Idée absurde ? Dans ce cas, pourquoi avoir remplacé Arthur par Lise ? Pourquoi avoir changé l’identité de l’Anglaise de la péniche (dans le roman, la mère de Rémi) ? Mais oui, suis-je bête ! pour nous offrir un beau mariage Rémi-Lise ! Épouser sa sœur… ou son frère, ça le faisait un peu moins, puisque bien sûr le mariage homosexuel n’a rien du mariage pour tous.


Pourquoi avoir fait de Vitalis un violoniste, quand le personnage d’origine était chanteur lyrique, d’autant que le film le montre enseigner à Rémi les bases de la technique vocale ? Et puis Rémi doué pour le chant, laissez-moi rire ! Pour l’avoir entendu fredonner atrocement une malheureuse berceuse dans une étable, le violoniste Vitalis décèle en ce petit garçon un potentiel considérable… Euh, c’est une blague ? Et le premier chant de Rémi en public à l’insu de son plein gré, mais n’importe quoi ! En plein air, au sommet d’une colline et avec son filet de voix, mais on ne l’entend déjà plus à dix mètres ! Mais là, il est censé captiver des paysans dont certains semblent situés à au moins cinquante mètres… Y a-t-il un acousticien dans l’équipe ? À l’évidence, non. Maleaume Paquin s’en sort plutôt bien en Rémi, mais sa voix n’a rien de remarquable. C’est comme cela, il n’y peut rien. Fabrice Josso, lui, possédait une très belle voix, naturellement bien placée, qui pouvait le rendre crédible comme chanteur — même si dans les faits le Rémi de 1981 chantait mal lui aussi, joliment mal, certes, mais mal. Heureusement, et là je vais filer un tuyau à Antoine Blossier (ça lui sera peut-être utile une prochaine fois), il existe au cinéma une technique merveilleuse qu’on appelle la présonorisation ou playback, si si ! Pour des exemples réussis de playback, voir Farinelli de Gérard Corbiau ou le Pont des Arts d’Eugène Green — ou même, moins bien mais potable à cet égard, les Choristes de Christophe Barratier. Ça aurait couté quoi de faire appel à un bon petit chanteur des Pages de la Chapelle ou de la Maitrise des Hauts-de-Seine pour donner à Rémi la voix qu’il méritait ? Beaucoup moins que le cachet de Jacques Perrin, j’en suis sûr.


Et encore une fois, pourquoi avoir fait de Vitalis un violoniste ? Parce que Daniel Auteuil savait déjà bien jouer du violon ? Eh bien non, renseignement pris, même pas ! Même si visuellement il assure… Il lui aura fallu plusieurs semaines d’un travail acharné pour créer cette illusion. Et tout ça pour quoi ? Pour créer une invraisemblance de plus ! Parce que non, même un ancien virtuose qui se remettrait comme ça au violon après des années d’interruption et sans même s’être échauffé ne serait pas en mesure de jouer une œuvre difficile de manière convaincante. Quant au choix de l’œuvre interprétée, un concerto, là encore c’est ridicule ! Le spectateur entend l’orchestre imaginaire, mais bien évidemment pas les personnages du film. Le résultat d’une telle exécution, en réalité, ne peut qu’être décevant. Il aurait fallu jouer une sonate pour violon seul, par exemple. Ah, mais bien sûr, le spectateur, lui, n’aurait pas eu droit à l’orchestre… Parce que nous serions des larves anesthésiées, blasées au point de ne pouvoir ressentir d’émotion sans le recours à la grosse artillerie musicale ? Je hais le cinéma qui manipule le spectateur en instrumentalisant la musique de manière aussi grossière.


Au chapitre des invraisemblances, ajoutons Auteuil qui parle français sans accent italien et les Anglais s’exprimant eux aussi sans accent (ou avec un pseudoaccent anglais raté).


Plus grave, le film de Blossier tire à l’évidence vers le conte, quand le roman d’Hector Malot était un roman social presque naturaliste. Dès lors, adaptation ou trahison ?

Dinozor
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le 3 mai 2019

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