Rester Vertical à de cela qu'il ne reste jamais vertical. Lui, c'est horizontal qu'il reste, avec son obscénité décomplexée, ses personnages désincarnés, son ignominie, certaine.
Rester Vertical est une histoire de vacillement. Vacillement des sexes qui jamais ne tombent, la queue entre les jambes. Vacillement des regards qui jamais ne quittent leur impassibilité. Vacillement des corps qui demeurent froid comme de la glace, à la manière de cette femme sorti d'un Toni Erdmann, qui se croit être le jouet d'un film porno et utilise le sexe comme elle le ferait d'un jeu pour enfant.


Aucun vacillement dans Rester Vertical. Mais plutôt cette impassibilité permanente, glaciale, mécanique, presque théâtrale : on est là chez Eugène Green comme on pourrait tout aussi bien être dans un film de Pialat où l'émotion n'est plus, où tout est impassibilité, ignorance, désincarnation à vivre, à être, à nager dans la vie. Si les personnages de Rester Vertical nagent, c'est dans une effrayante désincarnation. C'est dans ce détachement sans émotion, et donc sans vie, c'est dans cette faculté à se noyer dans l'inexistence, dans l'immatériel de l'existence. C'est ce sentiment blasé d'une incapacité à éprouver un tant soit peu une miette d'émotion. Les personnages, autant qu'ils sont tous, sont incapables de la moindre émotion. Peut-être est-ce le cas alors d'un réalisateur empêtré dans sa lourdeur, son obscénité, sa malaisance, son humour gras et potache, son sexe libre et décomplexé, mais néanmoins effroyablement voyeuriste et malsain.


Et si la poésie transcende un temps soit peu le film de Guiraudie (car oui, on y décolle quand même une certaine poésie parmi ce flot abject de dégoût), c'est dans ces paysages d'une profondeur irréelle qu'elle apparaît, c'est dans cette atmosphère oppressante et charnelle, où les bruissements de tout un monde illustrent l'incapacité à vivre.


Mais pour que le film soit charnel, il faut s'abandonner à cette vision profondément malsaine et presque pornographique, d'une bourgade de la France obnubilée par le sexe. Il faut s'abandonner à ces corps gras et mou, à ces chairs malaisantes, à ces gestes mécaniques. Il faut pouvoir rentrer dans le film de Guiraudie comme on entre dans la noirceur terrifiante de scènes à l'obscénité criante, désespérante.


Il faut pouvoir voir le monde avec un regard de glace, avoir la mentalité de celui dénué de psychisme, et simplement regarder, simplement observer. Observer quoi ? Le dégoût, les uns et les autres qui avancent droit, mécaniquement, et enchaînent les situations sans sens, multiplient les comportements sans intention, avançant avec détachement, sans que les actes, les situations, les événements, n'ai le moindre impact, la moindre causalité, le moindre sens sur la petite vie de tout un chacun. Rester Vertical est ainsi : en somme, c'est le désir de verticalité qui s'effondre en horizontalité, le désir d'une verticalité qui conduirait au non-sens puisque le détachement serait trop grand, et conduirait donc au simple et unique néant. Se désincarner, c'est ce que montre, et propose le film. Un bout de bois qui n'aurait aucune conscience sur les actes, les événements abominables et libres qu'ils effectuent. Une conscience sans sens. Simplement des faits, décomplexés, vidés de tout sens, de tout carcans, de toute chaîne. Rester Vertical pourrait être ce film libre, dépourvu du moindre scénario, du moindre fil conducteur qui donnerait une consistance au film. Il choisi la liberté plutôt que l'emprisonnement. Mais sa liberté, si elle est au final salvatrice, conduit ici à l'obscénité. La question se pose alors : l'obscénité, est-ce la liberté ? Choquer pour choquer, filmer un accouchement dans ce qu'il a de plus intrinsèquement naturel et cru, dépourvu de tout enjolivement ?


Rester Vertical est ce film qui choisit l'obscénité pour le seul principe d'être libre. Libre, de tout. Son scénario comme ces personnages, emprisonnés dans un désir de sexualité. Une sexualité morose, névrosée, engluée dans sa propre folie. Névrose de l'emprisonnement, au milieu des terres vides de tout. Rester Vertical n'est pas libre. C'est le produit créateur d'un esprit malade, névrosé, qui choisit de tout montrer alors que la beauté est infiniment plus belle lorsque tout est suggéré, que la délicatesse est infiniment plus bouleversante que le réalisme cru de l'existence la plus sommaire.
L'horizontalité de Rester Vertical, telle ces paysages aux lignes d’horizons s’étendant à l'infini, asphyxiant les hommes et les femmes, incarcérés les uns aux autres, dans des rapports humains conditionnés par l'animal qu'il y a en chacun d'eux.


Des animaux, voilà ce que sont les personnages de Rester Vertical. Des corps en rut, qui ne demandent qu'à satisfaire leurs besoins primaires, actes spontanés et irréfléchis. Des bouts de bois parmi la nature, qui cherchent à revenir parmi les moutons qui bêlent à leur côtés, qui cherchent à revenir à l'origine la plus primaire de leur propre nature. Des animaux parmi les animaux.

Lunette
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le 9 oct. 2016

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