Encore une belle réussite de Sadatsugu Matsuda qui confirme qu'il est l'un des plus solides artisans du chambara. Il parvient ici à se hisser sans problème parmi les petits maîtres du classicisme japonais dans cette histoire d'amour à l'étonnante fragilité dont la première heure est loin du bruit et de la violence qu'on aurait pu imaginer. Matsuda s'attache d'ailleurs plus au personnage féminin qu'au héros traditionnel.
Avec une vraie délicatesse, il capte pudiquement les troubles de cette femme dont le mari a justement été tué lors d'un conflit contre le Shinsengumi. Entre moments de frustration (comme lorsque sa soeur et son mari se montre peu discrets dans leurs ébats dans une pièce voisine) et l'espoir d'un nouveau départ avec un homme respectueux, digne et cultivé tout en étant contraint de commettre plusieurs meurtres, Ofusa voit son coeur régulièrement chavirer autant en sa présence qu'en son absence.
Comme à son habitude, le cinéaste n'abuse pas des dialogues et des états d'âmes pour privilégier une narration concise et une réalisation fluide qui s'attarde juste ce qu'il faut sur les visages et les silences pour qu'on comprenne leurs émotions sans s'attarder inutilement sur leur psychologie et la dualité de leurs sentiments. On voit bien que le scénario cherche à dresser une image plus nuancée sur les samurais, contraints à des actions qu'ils condamnent intérieurement mais sont obligés d’exécuter tel qu'ordonner à plusieurs de leurs membres de se faire seppuku (dont un jeune homme amoureux qui était arrivé en retard lors d'une bataille). Ca donne d'ailleurs un séquence assez forte avec un caméo de Takeshi Shimura qui s'indigne de voir rentrer chez lui celui qui est reponsable de la mort son fils. Le découpage refuse d'ailleurs le contre-champ sur le comédien principal comme pour mieux déshumaniser sa fonction et admettre tout simplement qu'il est impuissant face à la détresse d'un vieil homme.
L'occasion de souligner que la réalisation est d'une belle élégance avec une photo en couleur scope discrètement lyrique avec quelques cadrages raffinés, esthétiques mais non esthétisant, profitant des possibilités visuelles du studio sans être trop bariolé ou artificiel. Certains plans sont très composés mais le montage ne s'attarde jamais dessus pour mieux aller à l'essentiel.
L'incontournable Chiezô Kataoka et la vibrante Chikage Awashima forme un très joli couple crédible et touchant et il est difficile de ne pas partager partager les tourments de la (jolie) comédienne.


Toutefois le dernier tiers est un peu forcé de remplir le cahier des charges "chambara" et se détourne de l'histoire d'amour qu'on devine condamné pour davantage d'action via un script assez peu original et sans grande surprise. L'attachement aux personnages retombe alors et il ne reste à Matsuda qu'à faire preuve une nouvelle fois de son efficacité concise, son sens de la réalisation et de l'ellipse : quelques plans remarquables de scènes de foules paniquées, des combats fugaces mais intenses, des travellings qui mettent en valeur le mouvement et les décors, et surtout les ultimes minutes du film consacrées à l’amertume et au gâchis de l'après guerre dans une série de plan très inspirés et assez fort visuellement (intérieur d'une cale de bateau remplie de blessés, des ruines en flammes sous une pluie battante, un cadavre baignant à moitié dans une flaque nocturne etc...).


Décidément, il serait temps que Matsuda soit un peu mieux reconnu à sa juste valeur, voire connu tout court. Ce n'est pas Misumi ou Tai Kato mais dans le cas présent, c'est un joli croisement entre Henry King et Ricardo Freda.
Il va vraiment falloir approfondir sa carrière très dense mais comme pour l'ensemble de sa filmographie, rien n'est officiellement disponible.

anthonyplu
7
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le 11 juin 2017

Critique lue 79 fois

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