Ils rentrent en France après la guerre, ça tourne mal

Sous tutelle allemande pendant l’Occupation, le cinéma français ne parle pas de ladite Occupation – du moins pas frontalement. Quelques réalisateurs osent bien en évoquer, plus ou moins subtilement, certains aspects peu glorieux (par exemple la propension de certains de leurs compatriotes à la délation – oups je l’ai dit !), mais l’envahisseur allemand est, lui, complètement invisible à l’écran : pas plus de soldats chleuhs sur les trottoirs parisiens que de couvre-feux, privations ou rafles dans les intrigues. Le cinéma français tel que toléré par l’infâme Goebbels (que je dénonce avec la plus grande fermeté !) est une bulle (je n’ose dire une parenthèse enchantée, ce serait de mauvais goût) à l’abri des tourments du monde réel.


Mais vient enfin l’heure de la Libération, et avec elle (l’Epuration mais aussi) la possibilité pour les réalisateurs d’enfin parler de cette page sombre de notre histoire : les premiers films sur l’Occupation – et la Résistance – débouleront ainsi dans les salles françaises dès le premier trimestre 1946 (le temps pour les derniers indécis de rallier la résistance), pour continuer de poper de temps à autre huit décennies plus tard (l’année 2022 a encore eu le sien !).


Sorti en 1949, ce Retour à la vie ne traite quant à lui pas de l’Occupation mais plutôt de la Libération et, plus précisément, du cas des prisonniers/déportés de retour parmi leurs compatriotes. Premier film à sketches français collectif (une formule très rare désormais – je n’en vois aucun depuis Les Infidèles, il y a déjà dix ans), le film est ainsi composé de cinq courts-métrages distincts, longs de 20 à 25 minutes chacun, et ne partageant entre eux que cette seule thématique du retour à la vie/ville de leur personnage éponyme respectif.


Chacun de ces cinq courts met en effet en scène un profil différent de « revenant », afin de braquer les projecteurs sur certaines difficulté ou situations inédites qu’ont pu rencontrer ces fameux revenants à leur retour. Cinq variations autour du même sujet, donc, chacune avec son identité et son ton propres :


Le premier, Le retour de Tante Emma (signé André Cayatte), voit les neveux et nièces de ladite Emma, rentrée en piteux état de Dachau, chercher à lui faire signer de la paperasse notariale pour régulariser leur fraude sur la succession d’un parent mort pendant son absence. Elle est famélique et mutique ; eux sont lâches, cupides et mesquins. Et sans trop vous déflorer le truc, disons que certaines répliques entre Bernard Blier et les autres persos sont vraiment à chialer de rire. Le propos est horrible, et le sketch drôle parce qu’horrible. Concrètement, c’est du Cayatte aussi engagé que d’habitude, mais en plus marrant.


Le second, Le retour d'Antoine (signé Georges Lampin), voit ensuite François Périer assurer le service de nuit dans un hôtel alors réquisitionné pour des militaires américaines (toutes jeunes et jolies). Forcément, un mec pas trop moche au milieu de cinquante poules la nuit… ça va chiner. Inconnu au bataillon en ce qui me concerne, Lampin signe ici le plus léger des cinq courts – concrètement le seul qui soit franchement humoristique – avec cette petite farce légèrement coquine (mais chaste, tragiquement chaste). C’est mignon, un peu rigolo, et le seul reproche que je lui formulerais est à la limite de n’être que cela ; d’être le seul des cinq courts qui n’épingle pas certains comportements de Français pendant la guerre, qui ne mette pas le doigt là où ça fait mal.


Le troisième, Le retour de Jean (signé Henri-Georges Clouzot), voit quant à lui un Louis Jouvet diminué et pour le moins aigri découvrir sous son toit un soldat allemand blessé lui demandant secours… Au sketch le plus léger succède maintenant le plus noir (logique, vu le gars derrière) et là c’est du Clouzot pur jus, donc vraiment cruel et pessimiste. C’est le réal le plus populaire du lot aujourd’hui – et celui dont je suis plus familier –, mais ce court-ci n’est jamais évoqué, alors qu’il n’est absolument pas un maillon faible de sa filmo, loin s’en faut.


Le quatrième, Le retour de René (signé Jean Dréville), voit ensuite Noël-Noël rentrer chez lui pour constater que sa femme est partie, que son appart a été réattribué à une famille d’inconnus, que ses affaires ont toutes été plus ou moins pillées ou dégagées, et enfin que ses chiens de scène – son gagne-pain – ont tout oublié des tours qu’il leur avait appris… Le ton plus léger que le précédent et la bouille de victime de Noël-Noël rendent le court presque humoristique, mais le fond est tout de même assez révoltant et peinant.


Le cinquième enfin, Le retour de Louis (signé Jean Dréville aussi), voit Reggiani rentrer dans son village avec une Allemande qu’il a épousée… et que tout le village va rejeter. Dans ce court chargé de conclure le film, Dréville épingle sans pitié le ressentiment déplacé et la bêtise – jusqu’à la violence – de ses pairs.


Et franchement, si le premier défaut des films à sketches est souvent l’écart de niveau entre les différents courts en présence, ce Retour à la vie évite largement cet écueil, parce que chacun de ces cinq films est une petite réussite en soi. Et globalement, le projet est vraiment louable, parce qu’outre son thème passionnant, son traitement est sans concession… donc bien couillu, seulement quatre ans après la Libération, alors que le traumatisme devait encore être vivace chez des millions de Français. Alors OK, aucun des cinq segments ne se finit réellement tragiquement – le dernier se finit même sur une note, si ce n’est heureuse, du moins d’apaisement/réconciliation – mais tout de même, il fallait oser pointer du doigt la cupidité, la mesquinerie, la cruauté, les vols, le ressentiment et la stupidité – entre autres aspects peu reluisants – des Français. Ils l’ont fait, et avec talent.


Bref, je recommande chaudement !


(même à toi qui regrettes les Allemands – je le sais, inutile de nier)

ServalReturns
8
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le 17 oct. 2022

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