Riff Raff
4.7
Riff Raff

Film de Dito Montiel (2024)

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Riff Raff (2025) est une sympathique comédie policière, qui vaut le coup d’œil grâce à la qualité des personnages et du jeu d'acteur, quoi qu'il soit inégal, mais qui déçoit sur la fin, à cause d'un climax laborieux.

Au départ on joue la carte du mystère pour nous intriguer. On voit des fragments d'actions qui semblent sans lien et une voix off nous emballe tout cela dans des généralités. C'est celle d'un jeune garçon qui a un problème de surpoids et un souci d'affirmation de genre. C'est original, car ce n'est pas du tout une voix de détective, telle celle d'Humphrey Bogart, la référence en voix off de film noir. Le voilà en famille avec un beau-père senior et blanc et une maman quadra et noire. On se rend vite compte que le contraste des personnalités sera un des intérêts du film et une source de comique. Car c'est une comédie policière.

Et des personnalités, il y en aura : un beau-fils artiste peintre un peu foufou, une belle-sœur infirmière rital belle à mourir et enceinte jusqu'aux yeux, une belle-mère sur le retour, alcoolique et nympho-nostalgique. Le caractères un peu borderlines de cette belle-famille font que l'on s’accommode de situations peu crédibles ou qui demanderaient à être justifiées, comme par exemple que le beau-fils drogue sa mère pour pouvoir l'emmener sans lui donner d'explication et que cette dernière se promène toujours avec un couteau dans son sac.

On a l'impression que le film en a été écrit à deux mains, d'un côté par un pro, de l'autre par un amateur. Au bénéfice du pro, les personnages, l'humour, les situations, les préparations bien vues, comme celle de cette rencontre d'un soir avec une fille catastrophique qui rend d'autant appréciable celle de la délicieuse infirmière, les digressions dignes d'un roman comme celle au sujet d'une tortue perdue et les flashbacks qui viennent nous livrer des révélations psychologiquement cohérentes aux situations, qu'elles soient mystérieuses ou acquises, nous dévoilant un scénario à tiroirs, habilement construit. Avec comme paradigme le modèle de la famille et la problématique de la fertilité.

A la charge de l'amateur, des incohérences. Ainsi l'absence totale de la police. Un meurtre a eu lieu dans un restaurant d'un quartier où, semble-t-il, tout le monde se connait. On peut déduire que la police identifiera facilement le meurtrier et lancera un avis de recherche. Mais elle sera absente durant tout le film. Or le coupable se rend chez son père, piste facile à suivre. Certes le père a une maison de vacances soit disant difficile à trouver en pleine nature mais la police ne passe pas non plus à son domicile principal où il a d'ailleurs laissé un plan d'accès pour la résidence secondaire que trouveront aisément les méchants.

Cela ne m'aurait pas tant gêné si le coupable n'avait pas laissé une emprunte de semelle sanglante qui sentait bon l'indice, laquelle aurait pu être mêlée de peinture puisqu'il est artiste peintre. Cette emprunte ne sert qu'à nous faire deviner qu'il y a eu un meurtre.

Mais aussi des préparations sous utilisées, à la limite de la fausse piste. Notre artiste peintre garde une hache à la maison, ce qui est atypique en ville et surdimensionné pour la peinture au couteau, donc inexplicable. Elle ne servira qu'aux conneries d'une fille déjantée, ce qui est bien inutile car elle en fait déjà beaucoup sans hache. Moi, la hache, je l'aurai bien vu réapparaitre dans la scène finale, sortie d'un coffre de voiture. Ce n'est pas parce que le principe du "Fusil de Tchekhov" est maintenant connu de tous qu'il faut ne pas l'appliquer. Mais il est vrai que pour trouver une hache à la campagne, ce n'est pas la peine de l'amener de la ville, il suffit d'aller dans l'abri de jardin. Bon, Tchekhov avait raison : supprimons la hache.

Dans le même ordre d'idée, l'infirmière libèrera l'artiste, hospitalisé sous contrôle policier, sans être, semble-t-il, inquiétée.

On comprend d'ailleurs mal le profil du gars : fils de tueur à gage, il est artiste peintre. Professionnel ou amateur ? Aussi voyou et recherché car il fuit les flics dès avant le meurtre et il porte un flingue. Certes aux USA porter un flingue, c'est un droit. Son père, qui a des choses à cacher, le considère comme une source d'ennuis. Bon, c'est un voyou donc. Mais pourquoi artiste ? Pour lui donner une dimension plus humaine et sympathique ? Pourquoi pas, mais c'est purement décoratif car cela ne jouera pas.

Bon, malgré cela, tout va bien, la situation est suffisamment embrouillée pour qu'on s'intéresse et on rigole.

Mais il y a un principe du Mal derrière tout cela. Il est incarné par Lefty, lui même joué par Bill Murray. Hum. Peut-être à tord car je n'ai pas vu Lost In Translation (2003), son chef d’œuvre, pour moi Murray est considéré comme comique parce qu'il joue lamentablement des personnages lamentables. On peut donc douter de la pertinence du casting pour interpréter un tueur psychopathe et rancunier.

Il est associé avec un jeunot qui est à sa botte. On comprend mal leur relation et leur bizness. On devinera rétrospectivement que Lefty continue une carrière de tueur à gage qu'il avait commencé avec l'autre senior et que, semble-t-il, ça se fait en duo, ce qui ne coule pas de source.

Économiquement, ce n'est pas un succès, vu la cuisine modeste où Lefty accueille son propre fils. Cette dèche est une bonne idée car cela crée un contraste avec le confort de son ex-complice, le beau père de l'ado et père de l'artiste. Cela crée une jalousie que ressentiront Lefty, comme la belle-mère. Et qui pourra jouer dans un désir de vengeance meurtrière.

Avec Lefty et son acolyte, l'idée est d'un duo de crétins sans scrupules comme Tarantino en a conçu le modèle, qui tueront sur leur chemin tout ceux qui pourraient les identifier. Ça marche moyen, car ils ne sont ni drôles ni pittoresques. On est loin, par exemple, des Orange et Lemon qui brillent dans Bullet Train (2022). On notera plaisamment que le jeune est caractérisé par la belle-mère comme une sorte de suricate. Astuce qui fait d'autant sourire que l'on ne sait pas si la comparaison vise le personnage ou l'acteur. Ainsi dans The Killer, celui de 2023 par Fincher, Swinton est comparée à un coton-tige. C'est drôle mais c'est une ficelle.

Lefty poursuit l'artiste d'une rancune mortelle. D'abord ils vont chez sa mère (la belle-mère ci-dessus qui n'a pas encore été enlevée pas son fils), qu'ils ne tuent pas. Cela passe très bien mais sera rétrospectivement incohérent. Puis ils tuent pour un rien un tenancier de supérette histoire de nous prouver qu'ils sont tarés et dangereux. Enfin ils arrivent à la résidence principale du père de l'artiste qui est inoccupée vu que la famille est partie en séjour. Ça tombe bien, la porte n'est pas fermée à clé. Mais pourquoi ? Parce que des amis pourraient toujours passer pour faire une surprise et que les voisins veillent. D'ailleurs les voilà, les voisins, qui prennent les tueurs pour des amis. Ils donnent de bon cœur le plan pour accéder à la résidence secondaire et on les tue. Certes, dans tous les scénarios, les personnes qui cherchent vont de point d'information en point d'information. Ils faut alors caractériser ces points d'une manière originale ou spectaculaire pour nous faire oublier qu'ils sont là uniquement pour lâcher de l'info. Là, ça marche à l'ironie dramatique : nous savons que ce sont des tueurs et les voisins croient que c'est des amis, mais c'est peu crédible.

On voit que cette partie du scénario a été moins travaillée. Mais le pire est à venir.

Alors qu'elle est avertie que Lefty va venir semer mort et désolation, la belle famille décide de fêter joyeusement le nouvel an sans prendre aucune précaution, car ils sont persuadés que les tueurs ne les trouveront pas si vite. Le contraste est beau mais la seule justification crédible à cette témérité est que l'ado et sa mère ne sont pas au courant des emmerdes et qu'on veut faire bonne figure. Bon, moi, à leur place, j'aurais décrété l'état d'urgence.

Donc les couples de Riff raff font crac-crac, séparément je précise, sous le regard indiscret de l'ado. Félicitation aux auteurs qui ont choisi une position adaptée à la morphologie de la femme enceinte. Et le duo de tueurs débarque et coince tout le monde. Sauf l'artiste qui, off, a eu le temps de mettre sa culotte et de s'enfuir.

D'ailleurs le revoilà : il fait irruption son flingue à la main et menace les deux tueurs. Mais il se dégonfle connement et rejoint les prisonniers. Si, caché dans la nuit, il avait descendu les deux méchants à travers la fenêtre, le film serait fini.

Lefty a bien l'intention de tuer l'artiste et donc d'éliminer les quatre témoins, d'autant qu'il a quelques rancœurs contre certains. A deux, avec deux armes de poing et un fusil, ils pourraient faire cela en un instant, même si ça entraine des réactions.

Mais, à la fois pour éviter cette difficulté, faire durer le plaisir pervers, régler ses comptes psychologiquement et, j'imagine, faire disparaitre les cadavres en les enterrant, mais surtout pour arranger le scénariste, il demande à son acolyte d'emmener les séquestrés un à un pour les abattre dans la forêt voisine. Nous voilà dans une situation pénible qui, pour un Français senior, rappelle l'horrible fait divers de la "tuerie d'Auriol" en 1981. Vous imaginez la dimension que ça aurait pris si, à la place de ce clown de Bill Murray, on avait eu un acteur déviant genre Willem Dafoe ?

On a là pour un scénariste une situation qui pourrait donner lieu psychologiquement à de grandes choses. On en aura quelques petites.

Vous le devinez, cela ne se passera pas comme Lefty le veut, quoique les jokers soient bien peu réalistes. Ainsi la femme enceinte avait un revolver caché sous son gros ventre qu'elle passe à l'artiste qui le glisse dans sa ceinture, sous le nez de leurs deux bourreaux qui ne voient rien, la belle-mère, bien qu'abattue d'une balle est valide etc.

C'est là où je suis déçu, ni vraiment tragique, ni vraiment comique, Riff Raff nous propose un climax convenu et peu crédible, même si les personnages le teintent d'un peu d'originalité.

Épilogue : Happy end. Le senior, qui a été blessé, se réveille de son coma. On déduit que l'infirmière a soigné son beau-père blessé à la gorge et sa belle-mère blessée à la tête. Les deux se portent bien. Elle a accouché sans assistance médicale et le bébé gazouille. Les cadavres gênants ont disparus, probablement enterrés en forêt par l'artiste. La police n'est jamais venue. Tout le monde prend le p'tit dej. L'ado, en voix off, fait une ode à la famille, ce qui aide à faire passer cette situation confondante avec de l'ironie, car, pendant le déballage de linge sale du climax, les deux compagnes du senior (l'ex et la nouvelle) ont voulu le buter.

Ben, si vous le dites !


Le-Male-Voyant
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le 14 août 2025

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