Ma vie avec Clint
Clint est octogénaire. Je suis Clint depuis 1976. Ne souriez pas, notre langue, dont les puristes vantent l’inestimable précision, peut prêter à confusion. Je ne prétends pas être Clint, mais...
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Ma vie professionnelle me conduit à découcher une ou deux fois l’an dans de lointaines villes. Avez-vous déjà passé une nuit dans un hôtel provincial ? Après dix minutes de pur bonheur, vient l’angoisse, imparable. J’ai mis des années à en identifier l’origine. C’est le silence. Les établissements modernes sont parfaitement insonorisés. Placez un urbain dans la chambre sourde, d’un hôtel clos, au sein du quartier commercial déserté d’une ville assoupie… l’Horreur. Chez moi, tout bouge, crie, murmure, grince, claque. Gamins, parquet, escalier, volets, voisins, véhicules, avions, trains, pigeons, chats et chiens mènent la sarabande.
Que faire ? Rien… si ce n’est se précipiter sur la télévision qui trône invariablement face au grand lit. Or, j’ai tout essayé, impossible de suivre le film qui, à domicile, me ravirait, ni même les chaines bavardes d’information, sportives ou musicales. Mon cœur bat la chamade, la peur sourd… Je n’ai découvert qu’un antidote à la terreur nocturne, le documentaire animalier. Rendons grâce au PAF d’avoir imposé ces merveilleuses émissions, antidépresseurs plus efficaces que les petites pilules chimiques, mais dépourvus d’effets secondaires autres que le manque de sommeil. J’ai noté que l’identification était inversement proportionnelle à la taille du bestiau. Dédaignez la musaraigne à crête dorée, le bousier sacré ou la chouette effraie. Alors, dans le calme sidéral de l’auberge engourdie, mal assis sur ce putain de lit tout plat, je rentre en transe et suis tigre du Bengale, auroch laineux puis chien de prairie. Hier soir, je fus silure. J’ignorais être, un jour, lucifuge marin.
Le silure est notre plus gros poisson d’eau douce. Les beaux morceaux dépassent les 2,50 mètres et les cent kilos. J’aime leur gueule béate aux longues moustaches. Le colosse est omnivore, tout comme moi. Il chasse vairons, coquillages, ragondins, jusqu’aux pigeons. Il est malin le gars, il apprend vite. Lassés de devoir se carapater en Roumanie, des pécheurs locaux l’ont introduit discrètement en France, dans les années cinquante. Depuis, il a prospéré, il est le roi de la rivière. Un ministre stipendié en a interdit la consommation, prétextant une bioaccumulation de métaux lourds. Une chance, car, entretemps, les mêmes silures ont disparu du Danube, bouffés par les autochtones. Je vous laisse, j’ai rendez-vous avec mes potes pour une chasse au piaf.
Bonne nuit.
PS : PAF, Paysage audiovisuel français.
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Créée
le 19 oct. 2017
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