Une pièce de théâtre s’était déjà inspirée de l’affaire Succo (1987-88) en 1988. C’était l’une des dernières créations du dramaturge Bernard-Marie Koltès, mort dans l’année suivant ce succès et scandale. Son approche fut jugée romantique et complaisante, attirant notamment les foudres des familles de victime liées à l’affaire. En effet Roberto Succo est un tueur en série italien diagnostiqué à plusieurs reprises schizophrène. Après cinq ans de prisons pour avoir tué ses parents, il s’est enfui en rejoignant France, où il a volé, violé et tué, sans programme défini ni conditions stables. Au cours de ces deux ans, l’« ennemi public » rencontre une jeune fille de seize ans avec laquelle il va entretenir sa seule relation approfondie.


Dans le film réalisé douze ans plus tard (2000), Stefano Cassetti interprète ce personnage en lui apportant une aura troublante. Conformément aux nombreux compte-rendus sur Roberto, il se montre sauvage et pourtant magnétique, capable d’emporter sur son sillage plusieurs cibles consentantes, ou au moins de les sidérer, par sa force autant que son incongruité. Les yeux bleus chlorés de Cassetti viennent refléter cette ambiguïté : ce regard semble à la fois vide, illuminé, accablé ; il est effrayant parce qu’on sent l’abyme en train de regarder. Succo par Cassetti est menaçant mais est le premier cobaye de son aventure terrifiante. Rien ni personne ne semble assez solide et vivant, ou seulement profond, pour calmer le feu qui l’habite.


Le film retrace toute la dernière séquence de son existence, de la rencontre avec la jeune Sabrina (Isild Le Bosco) jusqu’à sa mort en prison. Les faits rapportés sont conformes, Cédric Kahn dresse son film comme un constat – un constat cinématographique, adoptant un point de vue externe mais imbibé par la subjectivité de Roberto Succo. A-priori, la réalisation est discrète, ses ambitions modérées (pas de reconstitutions minutieuses ou voyantes pour faire « comme en 1988 »), mais le climat n’est pas ordinaire. La séance est anormalement froide, une espèce de chape terne (nullement poisseuse) alourdi la réalité, les choses et les êtres semblent déniés dans leur vigueur ; les personnages restent à l’état de croquis venant traverser la vie de Roberto.


Or ces croquis évoluent, leurs mouvements sont suivis d’effets, leurs volontés manifestes s’expriment ; Roberto, lui, continue de courir, comme un mort-vivant bouillant. La frontière entre la négligence des portraits et la sécheresse intentionnelle apparaît facilement poreuse ; le film pourrait sans doute remuer davantage les éléments brassés, aller dans le détail, mais Kahn a pris le parti d’une reconstitution fidèle (avec les faits précis comme l’épisode du toit). Sa maîtrise remarquable s’applique à une démarche obstinément impersonnelle, ce qui peut désorienter mais assure sa cohérence. On ne ré-invente pas le sujet ici, on essaie de le cerner et comme il est déraisonnable, on le laisse s’étendre dans un écrin sur-mesure.


Avec un sérieux implacable, Roberto Succo film et ‘héros’ engagent dans une errance complète. Logique en théorie mais rarement cohérent en pratique, Succo se jette dans l’action avec une présence animale. Kahn et Cassetti en font une espèce d’homme-enfant perdu, paniqué, accablé par un détachement maladif et indicible à ses congénères. La haine meurtrière dont le criminel réel aurait fait preuve selon des témoins est absente, ou du moins pas traduite telle quelle dans le film. Succo habite la réalité de façon d’autant plus violente qu’il n’y a aucune sécurité. Les garanties les plus élémentaires ne sont pas pour lui.


https://zogarok.wordpress.com/2015/08/22/roberto-succo/

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le 22 août 2015

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