Rarement un héritage cinématographique n’aura été autant bafoué du vivant de son auteur que celui de Paul Verhoeven : des suites minables de Starship Troopers (dont le dernier exploit, un film d’animation japonais), de Robocop (montrons-nous magnanimes sur le second opus), Basic Instinct et même Hollowman ( !!! ) jusqu’au remake insipide de Total Recall et aujourd’hui celui de RoboCop… Il n’y a plus de respect pour les Hollandais ! Blague à part, s’il y a bien un projet qui pouvait se montrer intéressant, c’est une nouvelle version de RoboCop : si celui de Verhoeven s’inscrivait en réponse à une Amérique reaganienne en extrapolant l’avancée technologique, le remake pouvait tout à fait s’adapter à l’univers de l’Amérique en proie à la peur, post-9/11 et guerre en Irak, le tout englobé par une technologie futuriste qui est désormais quasiment notre quotidien. Mais non, que nenni, arrêtons de rêvasser. Analyse d’un échec en puissance.

A la barre, on retrouve José Padilha, le réalisateur brésilien du punchy Tropa de Elite, qui s’embarque naïvement avec une co-production MGM/Columbia sur ce blockbuster attendu au tournant. Très tôt durant le développement du film, il semblerait que le metteur en scène ait eu des différends face à la production concernant ses décisions, rejoignant ainsi le club (plus très fermé) des réalisateurs étrangers qui se sont cassé les dents aux Etats-Unis, comprenant notamment Kim Jee-woon ou encore notre mascotte nationale Mathieu Kassovitz. La question que nous nous posons (souvent, par ailleurs), c’est comment un choix de réalisateur apriori judicieux concernant le fond et la forme de l’œuvre peut-il ainsi tourner au vinaigre ? Une question qui nous taraudait déjà lors du visionnage de Thor, pour citer un autre exemple.

Du côté de la production, la volonté est d’édulcorer l’univers au maximum tout en gardant un semblant de caractère subversif (pour les nuls), de proposer un remake qui reprend des éléments de l’original (sic) et enfin de faire un film d’action vaguement décomplexé. De l’autre, le metteur en scène cherche à insuffler son style violent et documentaire avec un semblant de subversif (pour les nuls aussi). Choc des mondes : aucun compromis n’est trouvé. RoboCop se mue en film bâtard. Et ce, sous le regard inévitable (et sévère !) de son grand frère, le film étant un remake pur et dur empruntant des références à l’original, non une nouvelle adaptation d’un quelconque livre.

A l’instar de la version de Verhoeven, RoboCop entretient un rapport étroit avec les médias, intervenant régulièrement au cours de la narration : on peut sans aucun doute penser que le fameux 4ème pouvoir américain va de pair avec le héros fabriqué de toute pièce qu’est l’inspecteur Murphy. Néanmoins, cela n’était peut-être pas la peine de nous infliger, dès les premières secondes du film (jusqu’à tourner en dérision le logo MGM, tant qu’à faire) le cabotinage insupportable de Samuel L. Jackson en présentateur de show télé. Le ton est très rapidement donné lors d’un prologue sans subtilité et interminable . Le manque d’originalité se répercute même jusque dans le carton-titre, dévoilé au son d’une réorchestration bien douteuse du légendaire thème de Basil Poledouris.

Reste alors à attendre ce pourquoi nous sommes venu : l’homme de fer. On nous présente alors Alex Murphy, ici interprété par Joel Kinnaman, souffrant d’une absence de charisme redoutable. L’avancement de l’intrigue est constamment assisté, jusqu’à même en avoir le besoin maladif de créer superficiellement une séquence de suspens avant l’attentat visant notre policier. Toujours dans un souci d’édulcoration, nous ne jouirons pas de la genèse de RoboCop, la production préférant ici nous le dévoiler une fois finalisé, dans une usine vraisemblablement top-secrète mais voisine de rizières quelque part en Chine. Ah, bon.

S’en suit alors un film d’action terriblement lambda, oscillant entre une sériosité navrante et un second degré peu virtuose malgré quelques punchlines rigolotes. Rapidement, dans les fusillades, on regrette l’absence quasi-totale de violence. L’incompréhension se manifeste d’autant plus lorsque le film se permet une séquence plus glauque dévoilant Murphy sans son armure. Sans pour autant demander des démembrements de partout, quelques impacts n’auraient pas été de refus, histoire de ressentir la puissance meurtrière de RoboCop, que l’on peine finalement à entrevoir. Même le quelconque Elysium était parvenu à imposer une violence frontale.

Dans ce maelstrom de bêtise, le film pose çà et là des questions intéressantes sur l’éthique, et ouvre une porte, via les nouvelles technologies, que le premier n’avait pas forcément abordée. Néanmoins, le coche est raté et le film ne semble pas prendre conscience des enjeux qui s’y trouvent, limitant son raisonnement de grandes phrases en préfabriqué déclamées par un Gary Oldman en scientifique qui, admettons-le, veut bien faire. RoboCop se concentre également sur le chapitre intime, familial. Une décision certes louable afin de s’éloigner du grand frère, mais finalement peu palpitante.

Tout ceci, ou presque, résulte majoritairement de décisions prises par la production pour assurer au film une réussite commerciale auprès du grand public. Au milieu de tout cela, le pauvre José Padilha est borné uniquement à la réalisation, et soyons honnêtes : c’est aussi là où le bât blesse. RoboCop est un film très mal découpé. On y retrouve deux tics de mise en scène récurrents : le style documentaire cher à Padilha en caméra épaule mais aussi une mise en scène très circulaire, fluidifiée à l’extrême. Dans ce mélange peu équilibré et maitrisé, seuls quelques plans surnagent, dont quelques inserts bien sentis sur Murphy en moto. Malheureusement, pas de quoi compenser une réalisation générique qui suit un RoboCop à la fluidité quasi super-héroïque rappelant presque un énième film Marvel.

Le problème de RoboCop est limpide : l’ambition artistique est tuée par l’ambition commerciale. Ce qui est d’autant plus remarquable, quand, dans la même lignée cinématographique, la comparaison est établie avec Dredd de Pete Travis, remake redoutablement efficace et jusqu’au-boutiste ne subissant justement pas la pression de gros studios. Aucune envergure n’est déployée, jusqu’à même la direction artistique générale, inexistante. Les défauts s’empilent ainsi à tel point que l’on s’imagine, durant la projection, armé d’un stylo et d’un carnet pour relever tout ce qui ne va pas dans ce qui est typiquement un cas d’école.

Entre deux gesticulations forcées d’un Michael Keaton vieillissant et parodique, nous rappelant les joies de son jeu poussif dans l’Enjeu de Barbet Schroeder, on se demande pourquoi les frontières artistiques délimitées par la production semblent à ce point-là nécessaires pour garantir au film une réussite commerciale, surtout compte-tenu du matériau de base ? Si la réponse est floue, le verdict concernant le film est lui sans appel : « your move, creep !».

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le 7 févr. 2014

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Lt Schaffer

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