RoboCop 2
5.5
RoboCop 2

Film de Irvin Kershner (1990)

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RoboCop 2, dirigé par Irvin Kershner, arrive lesté d’un héritage trop lourd pour lui. Prolonger le coup de tonnerre qu’avait lancé Verhoeven sans se condamner d’avance à la comparaison était déjà une gageure ; le recours du studio à la surenchère transforme vite la vigueur du premier en évidence assourdissante. Ce qui, chez Verhoeven, tenait de la fusion instable entre satire, tragédie et cartoon se mue ici trop souvent en démonstration de force : efficace par instants, mais rarement habitée d’une nécessité analogue.


Le film conserve l’essentiel du décor : Detroit à feu et à sang, l’OCP qui tire les ficelles, Murphy enfermé dans son armure comme dans une prison spirituelle. La résonance toutefois a changé. Là où le premier film déployait chaque plan comme une déflagration ambiguë, Kershner aligne des visions parfois puissantes et souvent bruyantes qui peinent à dépasser la logique du spectaculaire. On sent le désir de répéter, plus fort et plus voyant, ce que le précédent avait su dire avec une précision chirurgicale. Le résultat est une perte de netteté : les contours se brouillent, la satire s’épaissit au point de devenir parfois grossière, la violence tend à l’illustration plutôt qu’à l’analyse.


Pourtant l’étincelle n’a pas totalement disparu. La scène d’ouverture, qui expose des crimes absurdes filmés comme des sketches macabres, rappelle l’esprit satirique du maître. Certaines images de RoboCop traînant son armure dans les rues dévastées conservent une puissance plastique indéniable. Ces éclairs restent cependant ponctuels ; ils surgissent et se dissipent dans un flot sonore et visuel qui ne leur donne pas le temps de s’enraciner, comme si Kershner doutait lui-même de tenir un cap entre grotesque et tragique.


La violence, ici, cesse d’être langage et devient parfois argument commercial. Démembrements, tirs, corps éventrés s’enchaînent avec un savoir-faire technique indéniable, mais le montage n’use plus du choc comme d’une grammaire critique ; il aligne des morceaux de bravoure comme on remplirait un carnet de commandes. Là où Verhoeven retournait la jouissance du choc contre la logique qui la produisait, la suite livre ce qu’on croit devoir lui demander : davantage d’excès, moins de distance réflexive. La brutalité, répétée, finit par lasser.


La construction dramatique pâtit d’un déséquilibre analogue. Le premier RoboCop tenait à la simplicité d’une tragédie : un homme broyé, ressuscité, en quête de son nom. Ici l’intrigue se disperse, multiplie les pistes — drogue nouvelle, gamin impliqué dans les affaires de rue, rival mécanique — et se dilue. L’ombre du studio est sensible : cocher des cases, multiplier les motifs, au détriment d’une ligne claire qui eût donné au film sa force de parabole.


RoboCop lui-même n’échappe pas à cet émoussement. Peter Weller reprend son rôle avec la même économie de gestes, mais l’écriture lui offre moins d’arcs véritables. L’idée, belle en puissance, de voir Murphy submergé par une avalanche d’ordres absurdes aurait pu nourrir une satire sur la bureaucratisation robotique ; elle est traitée trop vite, presque comme une note d’humour. Weller conserve sa dignité hiératique, mais l’armure paraît ici davantage costume que corps traversé par la mémoire.


La partition de Leonard Rosenman souligne encore la différence de conception. Là où Poledouris enveloppait le premier film d’un lyrisme ironique, Rosenman propose une musique davantage illustrative : elle accompagne l’action sans la commenter, sans créer la distance qui faisait la critique du prédécesseur. Ce choix musical contribue à l’impression que RoboCop 2 glisse vers le blockbuster traditionnel plutôt que vers la fable satirique et tragique qu’inventait le premier volet.


Les effets spéciaux et le savoir-faire plastique restent estimables. Le combat final contre la monstrueuse machine baptisée RoboCop 2 déploie une ingénierie visuelle spectaculaire pour l’époque. Mais la pyrotechnie illustre la différence de démarche : Verhoeven employait le monstrueux comme métaphore, Kershner le met en pièce maîtresse du spectacle. Le titan mécanique fascine l’œil, mais ne porte guère d’épaisseur métaphorique ; l’éblouissement n’engendre pas la réflexion.


Il subsiste toutefois un plaisir réel dans ce film. Il garde, quoique amoindrie, une noirceur satirique qui fut la force du premier : la ville déliquescente, les slogans ridicules, les criminels hallucinés dessinent encore un paysage grotesque où l’Amérique se mire dans un éclat brisé. Kershner, dont la main reste sûre — on pense ici à sa direction dans L’Empire contre-attaque — sait orchestrer l’action avec une clarté que beaucoup de blockbusters contemporains lui envieraient. Mais l’ensemble donne l’impression d’un reflet déformé : une copie qui grossit les tics tout en oubliant l’essentiel.


Le premier RoboCop restait un cantique baroque et féroce, où le chrome réverbérait la mémoire humaine. Le second est une variation plus lourde qui chante parfois faux, mais qui conserve çà et là une étincelle. Il n’est pas indigne ; il est simplement diminué. Si plaisir il y a, c’est en regardant ce film comme l’ombre d’un éclat premier, une ombre bruyante où persiste cependant, par fragments, le battement fragile d’un homme enfermé dans sa machine.

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le 22 sept. 2025

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Kelemvor

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