What the fuck ?!!!
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le 21 mai 2014
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RoboCop 3 arrive comme une plaisanterie mal ficelée à la table d’un banquet qui avait célébré, jadis, un sacré chef-d’œuvre. La plaisanterie n’est pas drôle ; elle est lourde, mal rythmée, et sent la commande industrielle. Sous la direction de Fred Dekker, la franchise bascule d’une satire amère, forgée au scalpel par Verhoeven, vers une bouillie morale et esthétique que l’on croirait sortie d’un manuel de marketing pour enfants. Ce n’est pas seulement que le film soit mauvais ; c’est qu’il trahit, avec une application bureaucratique, l’intelligence provocatrice de ses aînés. Là où RoboCop inaugurait une dialectique du choc — violence comme langage, ironie médiatique, métaphore religieuse — RoboCop 3 renonce à la dialectique et préfère l’ersatz : une violence aseptisée, une satire assourdie, une mise en scène qui feint l’énergie tout en ne faisant que répéter des gestes vus ailleurs.
Le premier et le deuxième opus imposaient un pacte formel précis : cadrages nets, insertions médiatiques, ruptures de ton qui empêchaient l’identification béate. Ici, la mise en scène abandonne la tension critique au profit d’une linéarité lisse. Les plans, souvent plats, n’inventent plus d’espace moral ; ils remplissent. La composition d’image ne cherche plus la double lecture mais la facilité illustrative. Techniquement, le film s’accoquine avec la facilité, multipliant des péripéties dont le montage cherche vainement à créer une montée dramatique. On sent l’atelier des idées déserté ; à la place, une chaîne de commandes formalise l’action : scène, explosion, sourire convenu, enchaînement. La caméra ne tente plus de piéger le regard, elle se contente de l’éclairer comme on illuminerait une vitrine.
Sur le plan du jeu, le changement d’interprète ne suffit pas pour expliquer la perte d’épaisseur. Robert John Burke, propulsé dans une armure qu’on sent désormais trop grande, n’a pas à lui seul la responsabilité d’un malaise plus profond : le scénario lui refuse la dialectique interne qui faisait le sel de Murphy. Là où Peter Weller habitait l’étrangeté par la moindre inflexion, ici le héros devient figure d’appoint d’un récit destiné à multiplier les effets. Les personnages secondaires sont traités en silhouettes, réduits à des archétypes plaqués : le contrebandier repentant, la résistance décorative, le bourreau corporate plus caricatural que menaçant. Ce théâtre d’ombres amplifie l’impression d’un cinéma qui se réfugie dans la facilité du spectacle plutôt que dans l’exigence de la pensée.
La représentation de la violence, autrefois instrument critique, se dégonfle en affectation. Là où Verhoeven faisait de chaque éclat une parole — dénonciation de la marchandise, révélation du système — Dekker livre des scènes d’action qui se contentent d’imprimer un rythme sans densité. La brutalité perd sa fonction sémantique et devient rustine spectaculaire : elle amuse, elle choque peut-être, mais ne dit rien. Pire, dans un mouvement paradoxal, le film se veut plus « accessible », édulcore le trait là où il faudrait assumer le trouble, et finit par trahir l’héritage corrosif de la série en offrant un produit qui ne dérange plus personne. La violence se trouve ainsi dépolitisée ; elle est consommable, jetable, rituelle.
Sur le plan des effets et de la matérialité plastique, RoboCop 3 souffre d’un syndrome fréquent : la transition entre effets pratiques et effets numériques dégrade la matière même du cinéma. Là où le premier volet possédait la rugosité des maquillages, le frottement des armures et le poids réel des mécanismes, la suite hésite, mélange maladroitement artifices et trucages qui vieillissent prématurément. Le chrome perd sa densité, la surface se lisse, la sensation de contact s’évanouit. Quand l’épaisseur matérielle disparaît, la métaphore s’amaigrit ; le corps mécanique cesse d’être un enjeu ontologique pour devenir un simple motif visuel.
L’écriture souffre d’un défaut cardinal : la dispersion. Les sous-intrigues s’éparpillent comme des confettis sans jamais recomposer une figure forte. Le scénario, en cherchant à plaire à plusieurs publics, sacrifie la cohérence dramatique. On nous propose des séquences d’action, des tentatives d’humour, des rappels symboliques ; elles cohabitent sans se traverser, sans se nourrir l’une de l’autre. La satire, si tant est qu’elle subsiste, est rendue pantomime. Là où RoboCop 1 travaillait l’ironie par accumulation et contradistinction, la troisième mouture amalgame et nivel le sens. Le résultat est douloureux : on regarde un film qui, à force de vouloir rassembler, ne parvient qu’à disperser.
Et puis il y a cette sensation d’un film produit par comité : décisions narratives qui sentent le focus group, choix esthétiques qui répondent aux modes plutôt qu’à une vision. Le ton hésite, passe du drame familial au récit d’action pour adolescents, de la critique sociale au message d’espoir mal fagoté. Cette indécision est révélatrice : RoboCop 3 n’a pas d’adresse ; il parle à tout le monde et n’atteint personne. L’ironie, jadis acérée, se dilue en une condescendance mièvre qui, loin de blesser, lasse. On aurait voulu voir la franchise se déplier, inventer une suite qui reprenne la radicalité du premier film ; à la place elle choisit la prudence et la platitude.
Sur quelques points, pourtant, de timides réussites émergent, comme des îlots de résistance. Certaines idées de mise en scène, dans leurs moments les plus virtuoses, rappellent que le matériau demeure fertile : des scènes nocturnes qui jouent encore des contrastes, quelques bons raccords d’action où le montage retrouve un endroit vif. Mais ces instants sont si rares qu’ils ressemblent à des accidents heureux. Ils ne suffisent pas à racheter un film qui, au plan moral et esthétique, offre plus d’annonces que d’accomplissements.
La comparaison avec les deux premiers films achève de dessiner l’échec : RoboCop 1 inventait une stratégie formelle — satire médiatique, violence signifiante, travail sur la représentation — et RoboCop 2, malgré ses failles, prolongeait la problématique en la complexifiant, en la déplaçant. RoboCop 3, lui, semble ignorer l’héritage dialectique. Là où le premier chantait un cantique de chrome plein d’ambiguïtés, la suite débite une rengaine sans nuance. Le verbe se meut en slogan, la pensée en illustration, la tragédie en divertissement docile.
On peut être cruel, oui, mais la cruauté ici n’est pas gratuite : elle relève d’un constat. RoboCop 3 trahit la promesse d’un cinéma qui, à son meilleur, savait utiliser la forme comme levier critique. Il sacrifie le tranchant au profit de la platitude, la dissonance au bénéfice d’une harmonie de carton. À ceux qui sont derrière ce film — scénaristes, producteurs, exécutants — on pourrait adresser une injonction ironique : merci d’avoir essayé, mais gardez vos mains loin de l’acier sacré ; vous l’avez poli jusqu’à en faire une cuillère. Et à qui chérissait la série, il ne reste qu’un goût amer : non pas autant de la nostalgie, mais d’une colère retenue, parce que l’on sentait, sous le métal, ce qui aurait pu être — et n’a pas été.
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le 22 sept. 2025
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