Difficile de critiquer ce très beau film en deux actes sans en divulguer la majorité des tenants et aboutissants. Si vous n'avez pas vu le film, je vous invite donc à le regarder avant de lire cette critique.


Le premier acte s'ouvre sur la fameuse "Room" et ses deux habitants de fortune. Joy a été enlevée et séquestrée 7 ans plus tôt à l'âge de 17 ans et a mis au monde son fils Jack dans sa geôle après deux ans de captivité. Un très rapide calcul nous pose donc un postulat simple mais glaçant : cette très jeune mère élève son fils de 5 ans né de rapports forcés avec son ravisseur dans un abri de jardin de quelques mètres carrés.
Dans un premier temps le film nous montre leur quotidien. Joy a créé pour son fils une réalité alternative afin de le préserver du sentiment de captivité, on alterne donc entre l'insouciance de Jack et la morosité de Joy qu'elle tente de dissimuler tant bien que mal. On voit d'ores et déjà que le jeu des acteurs est à la hauteur du sujet. Brie Larson est très crédible en mère désabusée dont le fils constitue le seul rempart contre le dépérissement, et Jacob Tremblay déborde d'innocence. Son jeu est si juste qu'on a parfois l'impression que le jeune acteur croit vraiment en l'histoire forgée par le personnage de Joy.
On assiste petit à petit à un premier retournement intéressant, Joy se met en tête que son fils est prèt à comprendre la situation réelle et qu'il va pouvoir l'aider dans une tentative de fuite. L'enfant, qui insufflait jusque là les rares moments positifs de cette première partie de film, voit ses convictions voler en éclat tandis que la mère regagne espoir. C'est une première inversion des rôles très intéressante, Joy assumant pleinement son rôle de mère au risque de faire du mal à son fils. Cette réflexion sur la responsabilité parentale n'est pas novatrice mais le cadre dans lequel elle prend place ajoute beaucoup à la puissance du message.


Toute la phase de la tentative d'évasion donne un nouveau rythme temporaire au film et est très bien construite. Faisant office d'entracte, on sort du huis clos psychologique le temps d'une phase thriller bien conduite. La réalisation est efficace et sans artifice, on nous montre l'essentiel et Lenny Abrahamson se paie même le luxe d'éviter certains écueils classiques de ce type de séquences tout en tension. L'effort est d'autant plus appréciable que ces passages constituent un interlude entre les deux enjeux réels du film, servant alors d'introduction au deuxième acte.


Cette deuxième partie de film est consacrée au retour à la réalité de Joy et Jack. Passée l'euphorie de la liberté retrouvée, on constate vite la seconde inversion des rôles qui est pour moi le point culminant du film en terme de réalisation. Lenny Abrahamson fait preuve de patience et prend le temps de s'attarder sur la gestuelle de ses personnages, sur des regards, des chuchotements, qui nous font bien ressentir la difficulté pour les deux protagonistes de retrouver une vie normale au sein de leur famille. Jack qui semblait au départ le moins enclin à changer de vie - il souhaite retourner dans la "Room" - s'acclimate finalement plutôt rapidement tandis que Joy doit se confronter au regard des autres, notamment à propos du fait que son ravisseur soit le père de son enfant. Elle remet en question sa capacité à être une bonne mère et les choix qu'elle a du faire pour offrir à son fils une vie décente malgré tout.
Là encore, le thème de la parentalité est abordé avec beaucoup de force et d'émotion, sublimé par les personnages secondaire de la mère, du père et du beau-père de Joy. Chacun va apporter de nouvelles nuances dans les rapports entre Jack, Joy et le monde qui les entoure. Cela a pour effet de casser la bulle dans laquelle vivent la mère et son fils, et d'élargie le thème de la parentalité au thème plus général de la famille. Lentement et toujours avec pudeur, le film nous fait vivre la reconstruction de tout ses personnage qui vont tour à tour montrer leurs force et leurs faiblesses, aider et se faire aider, jusqu'à enfin entrevoir la perspective d'un équilibre retrouvé.


Très efficace aussi bien techniquement que dans sa narration, Room nous propose une belle réflexion sur les relations familiales dans l'adversité. Même dans la gravité extrême du contexte dans lequel se déroule le film, on peut être empathique et faire un parallèle avec des situations plus communes, tout en conservant l'aspect sensationnel du récit sans tomber dans la lourdeur. Le jeu des acteurs n'est bien sûr pas étranger cette empathie tant leurs interactions semblent naturelles. Le réalisateur nous prouve que le genre torture porn très en vogue ces dernières années n'a pas le monopole des histoires de séquestration et c'est plutôt rassurant de voir ce sujet traité avec un peu plus de soin !

scriptted
9
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le 23 août 2016

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