Oeuvre intimiste, road movie passionnel, Running in Madness, Dying in Love traite de deux âmes en perdition qui fuient une réalité émoussée par un coup du sort en s'impliquant dans un amour presque maladif. Les deux amants se désirent depuis longtemps, mais la morale voulait que leur union soit impossible. C'est à travers un geste malheureux, un acte criminel, que Wakamatsu leur permet de se laisser aller aux pulsions qui les nourrissaient jusque là de manière silencieuse.


Le cinéaste exacerbe les sentiments de ses deux protagonistes en livrant un film déroutant aux thématiques complexes. Il insère dans son récit non seulement une véritable réflexion sur la victimisation de la femme dans la sphère maritale au japon, malmenée par des codes inflexibles qui font du mari la seule voix de la raison dans le couple, mais il s'intéresse également au sentiment de culpabilité qui ronge les deux personnages de différente manière. L'un est révolté contre le système qui régit son pays, et par extrapolation contre son frère, qui représente en tant que policier l'autorité répressive même de ce système; l'autre est en totale perdition, et si l'acte dont elle est l'auteur semble la condamner, il semblerait qu'elle soit dépressive depuis bien plus longtemps. Les deux jeunes gens ne trouveront une voie salutaire que dans cet amour interdit qui les unit lors de moments charnels passionnés.


Wakamatsu filme alors les corps au plus près pour faire de ces séquences d'un érotisme stimulant les seuls instants du film lors desquels ses protagonistes peuvent s'évader de leur désespoir. En les parant de couleurs chaudes réconfortantes, il les extrait volontairement du ton très froid du reste de ses images. Ces moments éphémères, coupables, atteignent ainsi un contraste qui les fait exister avec violence. Et si la culpabilité des deux personnages n'en est pas absente pour autant et se remémore à eux par l'intermédiaire d'une bichromie bleutée très froide, elle y est toutefois estompée temporairement. Car le reste du temps, le cinéaste pare son film d'une esthétique d'un froid polaire, comme pour annihiler tout espoir d'une rédemption opportune. Ce couple formé par le chaos d'une bagarre qui dérape, y erre en effet sans véritable but. Entre envie de suicide comme unique échappatoire pour la plus faible des deux âmes et fuite psychologique de la seconde qui refuse ce crime qu'il aurait pu commettre, Running in Madness, Dying in Love est d'un noir ébène à vous rendre dépressif.


Et c'est d'ailleurs à mon sens ce que l'on peut reprocher à cette oeuvre un cheveu trop jusqu'au boutiste. Un manque de nuance, qui transforme une réflexion profonde en un moment de vide absolu, que l'on subit de la même manière que les deux personnages du film. Certains passages s'étirent plus que de raison et malgré la courte durée du film, on se sent parfois sombrer du côté de l'ennui. Et si l'on entend bien la farouche révolte que mène Wakamatsu contre une société un peu trop conformiste, c'est par moment à défaut du film, à l'image de ce final d'un noir charbon qui se fait l'écho surréaliste et glacial d'une oeuvre difficilement palpable.

oso
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le 4 mai 2015

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