[Petite précision vite fait pour commencer : je n'ai pas lu le roman de Stephen King, donc je n'évoquerai pas l'ensemble en tant qu'adaptation. D'ailleurs, adapté ou non, pour moi, un film est une œuvre à part entière.]
Edgar Wright est un réalisateur absolument brillant dans le pastiche et l’ironie. La trilogie Cornetto l’a montré mieux que n’importe quoi d’autre. Il sait dynamiter les codes, installer un humour très second degré, tout en offrant des personnages attachants et des enjeux forts, mais enveloppés dans une comédie nerveuse, admirablement servie par un montage ultra-dynamique et un grand sens de la précision filmique et chorégraphique pour ses séquences d'action. C'est sa limite (comme on va très vite le voir !), mais aussi sa grandeur. Hélas, dès qu’il s’essaye au premier degré, au dramatique pur, il y a quelque chose qui coince (son précédent film, Last Night In Soho, le montrait déjà !). Certes, la virtuosité technique est toujours présente (ce qui fait que, malgré tout, on ne s'emmerde pas !), il n'empêche, le long-métrage reprend les ficelles visuelles et sonores de ce que le cinéaste pastiche d’ordinaire, et tombe, la tête la première, dans leur simplisme. En tentant d'aller vers la gravité, il redevient un pâle imitateur, ne se distinguant guère d'un yes-man hollywoodien de dixième zone.
Dans Running Man, tout ce qui touche à la famille du héros tombe précisément dans ce piège. C’est du pathos à deux balles, reprenant des scories visuelles, sonores (avec musique bien larmoyante intégrée évidemment !) et narratives comme le cinéma américain nous en défèque beaucoup trop souvent. Le résultat donne lieu à une émotion forcée, qui sonne faux dès qu’elle apparaît. À chaque fois que la famille était évoquée, je ne pouvais pas me retenir de lever les yeux au ciel tellement j'étais agacé.
La présence de Glen Powell, dans le rôle principal, ne relève pas le niveau. L’acteur a un très gros capital sympathie, est très doué pour la légèreté (dans Hit Man de Richard Linklater, il était comme un poisson dans l'eau !), possède un charme nonchalant incontestable, est sexy en diable. Mais ici, il est censé incarner un “Monsieur Tout-le-monde”, écrasé par un système qui le dépasse — et Powell n'en a pas l'apparence du tout. Il est trop parfait physiquement, il est trop dans la coolitude pour ce type de rôle. Il n'est pas crédible du tout dans la peau d'un pauvre mec moyen qui vit une vraie tragédie. Par contre, il aurait été la tête d'affiche idéale dans un Wright en mode second degré. Malheureusement, comme on est dans un Wright se voulant à tout prix sérieux...
En plus, pour s'enfoncer encore plus dans la déception, le film laisse entrevoir à un moment donné ce qu’il aurait pu être. Je parle des scènes avec le personnage incarné par Michael Cera, durant lesquelles on retrouve avec joie le Wright sale gosse, fun... bref, le Wright qu'on adore. Mais tout ceci ne dure que quelques minutes et paraît venir d’un autre film : un Wright qui aurait été réussi.
Et pour ajouter encore à la frustration (que de bons ingrédients mal utilisés !), du point de vue du sujet, Running Man avait un potentiel énorme par rapport à notre époque : une société dominée par la désinformation, la téléréalité faisant appel aux plus bas instincts, la mégalomanie maladive et néfaste de milliardaires méga-puissants façon Trump ou Musk, l'abêtissement complet des masses, les inégalités sociales qui explosent. Wright aurait pu nous offrir une satire bien vitriolée, bien percutante, correspondant à la perfection à son registre. Mais à vouloir à tout prix jouer la carte du sérieux, contre son propre talent, contre l'intérêt du film, contre celui du spectateur, l'ensemble passe à côté d'un potentiel formidable.
En plus, il aurait franchement pu supprimer le mièvre motif familial, insupportable dans son traitement (pour ne rien arranger — oui, décidément… que de bonnes occasions manquées —, j'ai trouvé que Powell dégageait plus d'alchimie avec la pétillante Emilia Jones, avec qui il partage quelques scènes sur la fin — formant un efficace duo antagonistes puis alliés à la 39 Marches —, qu'avec Jayme Lawson, qui joue son épouse !), et partir sur un héros désabusé, marginalisé, sans noble cause, n'ayant plus rien à perdre, juste fatigué d'exister dans une société pourrie. Ce motif-là, suffisamment puissant en lui-même — l’envie de tout faire péter — se serait beaucoup mieux intégré à l'univers du Monsieur.
Je ne préfère pas m'étendre sur le happy end, d'une naïveté embarrassante, débarquant de nulle part, laissant croire que l'être humain est capable de guérir de sa profonde connerie. Alors, je n'aurais rien eu contre une conclusion heureuse, mais pour le héros, tout en restant férocement lucide et ironique sur la société, à la façon de celle de Shaun of the Dead. Cela aurait mieux collé au propos général et au réalisateur.
Alors, j'en vois quelques-uns me balancer que l'histoire avait tout pour être abordée sérieusement, sans la plus petite distance humoristique (d'ailleurs, à partir d'un autre roman, écrit par Robert Sheckley, certains l'ont fait, y compris en France, à l'instar d'Yves Boisset avec Le Prix du danger !). Je suis tout à fait d'accord, mais par un autre qu'Edgar Wright. Je me répète, mais ce dernier n'est pas fait du tout pour la gravité. Et Running Man, le plus grand ratage de toute sa carrière, en est tristement la preuve. J'ose espérer qu'il reviendra très vite à la raison et qu'il se tournera à nouveau vers ce qu'il sait véritablement bien faire...