Sous les coups de poing rythmés de Sacrifice (The Victim), Sammo Hung cache, sans le savoir, une tragédie en bonne et due forme. Au départ, on croit à une simple comédie martiale : un élève implore qu’on l’entraîne, un maître rechigne, un frère jaloux rôde. Puis tout s’enraye, et la farce se change en drame.
Cet élève obstiné cherche un maître comme d’autres cherchent un dieu. Et quand enfin il le découvre — quand il a l’illumination — il le supplie de le frapper pour mieux apprendre. Ce héros semble sorti tout droit du traité de La Boétie : il s’invente une servitude volontaire et s’y complaît. Ce n’est pas la contrainte qui le soumet, mais le désir. L’homme libre, disait La Boétie, se fait esclave par goût — et Sammo Hung, entre deux sauts périlleux, le filme avec la naïveté du grand tragique qui s’ignore.
Puis vient la tragédie, celle du faux frère et du vrai ressentiment. Le frère aîné, rongé par la jalousie, retient la mère de l’élève en otage et s’acharne sur notre héros pour que celui-ci tue son maître — c’est-à-dire celui qui n’est pas tout à fait son cadet… Vous me suivez ? À la fin, l’élève meurt dans les bras de sa mère, tandis que les deux “frères” s’entretuent à coups de pied chorégraphiés : tableau terminal d’un monde où les liens de sang et d’honneur se sont liquéfiés.
Ici, Sammo Hung rejoint Hobbes sans le savoir. Quand la loi s’efface, quand la fraternité vacille, il ne reste que la lutte : tuer ou être tué. L’homme est un loup pour l’homme — mais un loup qui exécute ses figures de combat avec une grâce de danseur. La philosophie, chez Sammo, passe par la jambe : le chaos moral s’exprime en chorégraphie.
Reste un goût amer : celui de la fidélité poussée jusqu’à la mort, et d’un système où l’on tue par amour, où l’on obéit par choix. The Victim, tragédie sauce nuoc-mâm, prouve qu’on peut filmer La Boétie et Hobbes sans les avoir lus. Chez Sammo Hung, la philosophie ne se lit pas — elle se prend en pleine figure. Chaque coup de pied circulaire dit : “je t’aime, donc je te détruis.”