Un problème que j’ai rencontré pour écrire sur Saint Amour, c’est que c’est le genre de films que j’aime avant d’y aller (du fait des réalisateurs et du sujet). Donc même déçue, je ne l’avouerai jamais qu’à demi. Je vais quand même essayer d’être objective. Difficile de dire et ce qui m’a plu, et ce qui m’a gênée. Foutage de gueule, bâclé pour certains, drôle et poétique pour d’autres, nous allons mener l’enquête : Kervern et Delepine auraient-ils poussé le bouchon un peu trop loin ?


Le dernier long-métrage de ceux que l’on considère comme les deux punks du cinéma français raconte l’histoire de deux agriculteurs, père et fils, qui vont retisser des liens en faisant la route des vins en taxi. Une sorte de road-movie, mais attention, un qui ne ressemble à aucun autre. Oui, car on est ici embarqué dans un voyage filmique sans destination, sans route toute tracée, sans anticipation possible de ce qui va venir nourrir l’histoire, chaque péripétie se tissant au fil des rencontres loufoques que font les personnages et qui donnent lieu à des situations pour le moins singulières. Et ça, qu’est-ce que ça fait du bien… Dans la voiture, trois générations de personnages, et trois générations de comédiens : Gérard Depardieu, une fois encore époustouflant ; Benoît Poelvoorde, incontrôlable comme il sait bien le faire ; Vincent Lacoste, nouvel espoir masculin. C’est un premier atout du film : une concentration de talents, complétés par des actrices tout aussi bonnes dans les rôles secondaires (Solène Rigot, Izia Higelin, Ana Girardot, Céline Salette, Ovidie, …). D’ailleurs, les réalisateurs ont pour habitude de ne pas faire de casting mais d’intégrer dans leur film des rencontres qui les ont touchés, des personnes atypiques croisées dans la vie et transformées le temps d’une scène en comédiens amateurs. Le choix de Sébastien Tellier pour la composition de la bande originale suit la même logique : il a été choisi puisque les réalisateurs avaient envie de le rencontrer, tout simplement.


Pour entrer davantage dans le détail, le film commence dans un lieu restreint (le Salon de l’Agriculture), dans lequel les personnages se perdent eux-mêmes et se perdent entre eux. Le père, qui vient présenter des bêtes, désespère de retrouver son fils qui « fait la route des vins sans sortir du salon ». On commence dans un labyrinthe, avec des plans très resserrés, puis rapidement les horizons s’ouvrent lorsque le père propose au fils un périple, une vraie route des vins en plein air. C’est ainsi qu’on assiste à une renaissance, à un élargissement d’horizons. Le thème de l’alcoolisme est omniprésent, qui apporte à la fois une tonalité grave par moments, mais surtout une savoureuse entrée de Dionysos qui vient semer la pagaille, et qui laisse place à des moments très comiques. Selon son humour, on peut être amenés à connaître de franches rigolades devant certaines scènes (celle avec Michel Houellebecq en directeur de chambre d’hôte, pour ne pas être originale, est celle que je retiens). Mon humour s’arrête, en revanche, dès lors qu’on veut nous faire rire aux dépends d’un personnage … En tout cas, cela fait beaucoup de bien de ne pas être confrontés à une structure logique, convenue, attendue. L’inefficacité du récit est assumée et donne de l’air dans le paysage parfois trop convenu des films sortis récemment. Et si le film n’a pas vocation à être un film social, les deux réalisateurs ont tout de même glissé assez subtilement certaines préoccupations sociales et politiques en arrière fond mais bien là quand même. Elles sont incarnées, entre autres, par le personnage de Solène Rigot, sorte d’allégorie de la jeunesse écrasée par le poids du monde qu’on lui laisse, ou par la situation financière du père et du fils, qui doivent se reconvertir pour continuer à vivre de l’agriculture.


Mais assez vite, dans cette route des vins qui nous emmènent dans des lieux cinématographiquement riches et peu exploités (le salon de l’agriculture, les campagnes françaises), on réalise qu’on glisse subtilement du Saint Amour à l’Amour tout court. Car nos trois personnages masculins sont tous plus seuls les uns que les autres : l’un a perdu sa femme et continue de lui laisser des messages vocaux, l’autre ne sait pas y faire avec les femmes et demande sans cesse conseil, et le troisième s’invente une vie d’homme marié heureux alors qu’il profite de ce périple pour rendre visite à des histoires anciennes, des copines d’avant, toutes plus décevantes les unes que les autres. Et de ces trois solitudes, un espoir ressort : celui de la beauté des personnages féminins qu’ils rencontrent et vont finir par leur insuffler une énergie nouvelle. Sur ce point, on peut être étonnés, voire même déçus, et même scandalisés pourquoi pas, de ce sentimentalisme optimiste et presque naïf de la part de Kervern et Delepine. C’est un trait nouveau dans leur filmographie qui laisse en fait place à des scènes et des idées vraiment très décevantes pour le coup. De même, quelques personnages féminins ont peu de consistance et sont pour certains assez caricaturaux. Pour continuer sur les points négatifs, on peut avoir la surprise, dans cette boîte à chocolats que sont les scènes disparates du film, de tomber sur quelques chocolats avec moins de goût, voire écœurants (comme ceux à la liqueur là, vous voyez), comme la scène avec l’agente immobilière. Quant à d’autres scènes encore, selon comment l’on conçoit la chose, on peut les considérer comme utiles pour donner cette impression d’ivresse, ou bien totalement inutiles, c’est selon.


C’est pourquoi, ayant donné souvent les deux points de vue, je me dois de me positionner : je suis de ceux qui ont aimé Saint Amour. Il y a des défauts, je les ai pointés. Mais j’ai été touchée par ce dont m’a parlé le film, que je vois comme un hymne à la tolérance, à l’inutile, au plaisir des choses simples, à l’importance de la futilité, à nos faiblesses, à l’inefficacité. Le thème de l’argent qui ne fait pas le bonheur est, je crois, très important dans le film, car les personnages semblent constamment préoccupés par l’impression qu’il faut continuellement se vendre soi-même, séduire, etc. C’est très touchant, et une fois encore, c’est fait sous un format inhabituel qui envoie balader les routes toutes tracées, les convenances et qui s’autorise la digression, la perte de la logique, du prosaïque. Alors je voudrais lever mon verre à la santé de Kervern et Delépine. Puissiez-vous encore sans jamais vous flétrir abonder de votre talent la coupe (à moitié vide ? à moitié pleine ?) du cinéma français.

Azilys
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le 15 mars 2016

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