Samouraï
7.7
Samouraï

Film de Kihachi Okamoto (1965)

Pessimiste, âpre, contestataire, le chambara des 60's n'en finit plus de chanter la mort des valeurs du bushido, se faisant ainsi l'écho d'une société nippone en plein doute et en pleine crise existentielle. Avant d'étayer plus amplement sa vision désenchantée du samouraï avec Le sabre du mal, Okamoto en pose déjà les jalons avec le remarquable Samurai Assassin. Tout l'intérêt du film repose dans son approche historique, qui se situe à la fin du règne des samouraïs, et du parallèle fait avec un Japon qui se remet à peine de la 2e GM. Avec une finesse d'esprit qui n'a d'égale que son cynisme, notre homme s'empare du sujet en voulant lui donner une dimension dramatique toute shakespearienne : un rônin, qui rêvait d'être un véritable samouraï, va finir par provoquer la mise à mort de sa propre caste. Le culte de la lame est tellement perverti par l'homme, que son salut semble utopique.

On le comprend rapidement, en focalisant son attention sur le destin du rônin Niiro, Okamoto s'intéresse plus à la petite histoire qu'a la grande, faisant passer les enjeux politiques derrière les enjeux personnels. De ce fait, Samurai Assassin est un chambara un peu étrange, pratiquement dénué de scènes d'action, mais où l'accent est mis sur la psychologie des personnages. Au début, Niiro nous apparaît comme l'archétype du rônin désabusé qui loue ses services au plus offrant. Mais grâce à une narration nourrie de flash-back, le personnage s'étoffe et son destin prend une portée éminemment symbolique : né des amours entre un mystérieux haut dignitaire et une courtisane, il ne pourra véritablement connaître ses origines que s'il devient un samouraï digne de ce nom. Seulement dans cette époque trouble, où l'on a perdu toute notion d'honneur et de respect, où le Bushido est vidé de tout son sens, l'art de la lame ne sert plus que les intérêts et l'orgueil de celui qui la manie : les hauts dignitaires s'accrochent à leur privilège, les samouraïs ne se rebellent que pour défendre leur petit confort, et même Niiro ne fera que satisfaire sa propre soif de reconnaissance...

Ainsi, derrière ce portrait se dessine une critique cinglante de l'idéologie guerrière et des effets pervers du pouvoir : ceux qui subissent son joug ne sont que des êtres médiocres, veules et lâches, qui se cachent derrière les valeurs du Bushido. Il n'y a plus aucune noblesse dans l'art du sabre : les criminels ont désormais pris la place des héros d'antan.

Seulement, même si sa démonstration est brillante, Samurai Assassin peine à nous convaincre totalement. Tout d'abord, il faut bien l'avouer, il est parfois bien difficile de se passionner pour une intrigue qui multiplie ainsi les références à l'Histoire nippone. Car même si l'essentiel du propos repose sur le destin de Niiro, le film a parfois du mal à se sortir du carcan du "film historique". Le manque de souffle de la mise en scène, qui laisse traîner de fâcheuses longueurs, et l'utilisation d'une voix off horriblement didactique ne font que renforcer cette impression. Et puis, surtout, malgré un scénario signé Shinobu Hashimoto (Rashômon, Seppuku en autres) et l'utilisation d'une narration en flash-back, l'intrigue manque cruellement d'intensité dramatique. On est quand même loin des grandes œuvres de Kurosawa, Kobayashi ou même Gosha, sorties à la même époque. Pour le reste, ne faisons pas la fine bouche, Samurai Assassin reste un chambara d'un excellent niveau, servi par une mise en scène rigoureuse, un délicieux travail sur les contrastes du N&B, sans oublier la prestation sans failles de Mifune. Et puis, pour compenser le manque de punch de son intrigue, Okamoto a le bon goût de composer un final en tout point bluffant: dix minutes virtuoses, frénétiques et rageuses, durant lesquelles le ballet morbide des sabres est rythmé par l'impétuosité d'une tempête de neige. À cette intensité guerrière, succède un profond sentiment de désillusion avec l'image trompeuse du triomphe de Mifune : un happy end au goût étrangement amer.

Créée

le 3 août 2023

Critique lue 38 fois

2 j'aime

3 commentaires

Procol Harum

Écrit par

Critique lue 38 fois

2
3

D'autres avis sur Samouraï

Samouraï
balthamos
10

Messieurs les américains, voici un film !

[SPOIL !] Samourai, ce n'est pas seulement un bon film, c'est typiquement un film abouti, une véritable œuvre d'art, et tout ça sans avoir besoin de rajouter des explosions à tout bout de chant ou de...

le 4 juin 2011

10 j'aime

3

Samouraï
Arnaud_Mercadie
8

Critique de Samouraï par Dun

Samouraï fait penser à de nombreux films de l'époque. Le personnage principal (Toshiro Mifune) rappelle Sanjuro, un samouraï sans maître, alcoolique, décadent et pauvre (ce qui l'oblige à salir son...

Par

le 4 sept. 2019

4 j'aime

Samouraï
ecnal
8

Critique de Samouraï par ecnal

Samouraï est un chambara pur jus tel qu'on peut l'imaginer avec tout ce qui en découle mais c'est aussi voire surtout un sacré casting. Ce denier revêt une saveur particulière pour les amoureux...

le 8 sept. 2012

3 j'aime

Du même critique

Napoléon
Procol-Harum
3

De la farce de l’Empereur à la bérézina du cinéaste

Napoléon sort, et les historiens pleurent sur leur sort : “il n'a jamais assisté à la décapitation de Marie-Antoinette, il n'a jamais tiré sur les pyramides d’Egypte, etc." Des erreurs regrettables,...

le 28 nov. 2023

83 j'aime

5

The Northman
Procol-Harum
4

Le grand Thor du cinéaste surdoué.

C’est d’être suffisamment présomptueux, évidemment, de croire que son formalisme suffit à conjuguer si facilement discours grand public et exigence artistique, cinéma d’auteur contemporain et grande...

le 13 mai 2022

78 j'aime

20

Men
Procol-Harum
4

It's Raining Men

Bien décidé à faire tomber le mâle de son piédestal, Men multiplie les chutes à hautes teneurs symboliques : chute d’un homme que l’on apprendra violent du haut de son balcon, chute des akènes d’un...

le 9 juin 2022

75 j'aime

12