Dans le Los Angeles de l'immédiate après-guerre, superbement reconstitué, deux frères très proches (un homme d'Église et un détective) se font face après la mort brutale d'une prostituée.


Film policier, alors ? Pas vraiment.


L'enquête est avant tout un prétexte pour brosser les portraits, tout en nuances, de deux êtres sensibles que les mascarades professionnelles épuisent et, par-delà leurs parcours et leurs doutes respectifs, de questionner le sens de la vie (aussi bien dans sa dimension métaphysique que sous l'angle des choix que nous opérons... quand nous en avons).



If I can't talk to you, I can't talk to anyone. ... Something's gotta change in my life.



Le prélat, Desmond (Robert de Niro) --- que l'on devine avoir rejoint la prêtrise à cause d'une mère bigote (cf. scène de l'hôpital) --- est las des mondanités, des mafieux, des jeux de pouvoir, des sollicitations. Son supérieur, le cardinal, aigri et versé dans la combine et le faux-semblant permanents, lui permet de se projeter, lui donne une idée de ce qui l'attend quand il aura pris du galon...
( même la confession semble être devenue --- ou avoir toujours été --- un jeu hypocrite de moins en moins supportable )


Son frère, Tom, le flic (Robert Duvall), qui a jadis fricoté avec Jack Amsterdam l'entrepreneur pourri (excellent Charles Durning) qu'emploie régulièrement le diocèse, ferme les yeux sur les pratiques malhonnêtes de son collègue policier, cache ses sentiments pour une douce et désabusée maquerelle,


(qui se suicidera probablement faute d'avoir pu obtenir de Jack-l'ordure, menacé par la LAPD, qu'il épargne Tom & Desmond )


observe avec aigreur et silence cette ville baignée de soleil et de merde, ces existences marquées par la goinfrerie et la souffrance.



Glory be to the Father, and to the Son, and to the Holy Ghost. As it was in the beginning, is now and ever shall be, world without end. Amen.



La maîtrise du récit --- l'auteur du roman qui sert de base à l'histoire co-écrivit le scénario ---, du rythme général, des silences et des regards de ces deux frères en souffrance et en quête est admirable.


Les scènes sont éblouissantes d'économie (suggestive), de diversité, de réalisme et de justesse ; leur enchaînement est un régal.



Deux beaux Robert



Ulu Grosbard signe là un film de diamantaire (qu'il fut).


De Niro, le personnage principal, n'est pas en reste ; il se tapa notamment des heures de latin pour incarner au mieux son rôle et fut épaulé par un prêtre (le père Henry Fehren)



He may be the most authentic priest ever seen on the screen.
( Fehren cité dans Sacred Profanity : Spirituality at the Movies, Aubrey Malone, p. 117)



Une des scènes les plus illustratives de cette sublime collaboration montre De Niro revenant d'une partie de golf avec les habituels requins (l'Église doit choisir des partenaires pour la construction de ses édifices) et se retrouvant seul dans la chambrette. Comme a dit Kurtz : "parfait, authentique, complet, cristallin, pur."


Malgré ce prodigieux travail du réalisateur et de ses acteurs (car Duvall et les seconds rôles sont tout aussi convaincants), le film fut descendu, les faquins de la critique cinématographique d'alors étant sans soute frustrés de ne pas avoir sous la dent un De Niro expansif et lisible comme dans son dernier film (Voyage au bout de l'enfer) : un curé propret qui gamberge, ce n'est pas un ouvrier de la sidérurgie revenant du Vietnam, bande de corniauds égoïstes et festifs !


Mais bon... après tout... aucune raison de ne pas trouver aussi parmi les charognards de la critique professionnelle des individus si peu réflexifs et si peu altruistes qu'ils sont incapables de comprendre l'humanité de Grosbard.


À ce titre, le final est d'une rare beauté : les deux frères usés se disent


( Tom a sauvé Desmond, sur le point d'être promu et donc de s'enfoncer dans le mensonge, en le livrant aux journalistes ; l'évêque en devenir a été envoyé évangéliser les cactus et les crotales )


adieu dans une paroisse de nulle part ouverte au vent chaud du désert auquel seuls l'amour et la fraternité peuvent résister...

Arnaud-Fioutieur
9

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le 2 juin 2021

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