Dans une grande casserole, commencer par faire fondre un peu de caca. Ajouter du vomi et une touche de pipi. Faire revenir en remuant constamment. Après dix minutes, ajouter une influenceuse, un capitaliste russe et un américain marxiste. Lorsque la matière organique est bien dorée, saupoudrer le tout d’une critique faussement subversive des ultra-riches. Couvrir et laisser mijoter pendant deux heures et demie. Enfin, ôter le couvercle et poser un regard lumineux dans le fond de la casserole : que voyez-vous ? Mais oui c’est bien ça, vous ne rêvez pas : c’est une PALME D’OR ! 

 

            Et encore un de ces films qui vous persuadent qu’il suffit d’être subversif pour être intelligent, plutôt qu’être intelligent pour être subversif. Et devant ce spectacle, le mondain exulte, le mondain fait hourra, applaudit de ses petites mains propres et juvéniles, tandis que le spectateur malappris, trop pénétré de cet esprit populacier, trop hermétique à la divine vision de ces faiseurs de vertu, lui, le spectateur aux doigts bouffis et à l’esprit rabougri, celui-là est trop vil pour comprendre la beauté du caca et les vertus du pipi : pardonnez son ignorance ! Vous chers mondains qui criez au génie, vous qui posez vos regards bienveillants mâtinés de mépris sur ce demi-être de raison, dites-lui combien le caca c’est beau, dites-lui combien le riche c’est méchant, dites-lui combien le pauvre c’est gentil, faites-lui voir cette réalité éthérée qui bat si fort dans vos cœurs ô combien purs et généreux ! 

 

            Trêve de plaisanteries. Je ne voudrais pas, moi aussi, me risquer à faire dans la subversion stérile. Mais reconnaissons que ce film s’inscrit parfaitement dans l’esprit du temps. Ou plutôt qu’il s’inscrit dans la continuité d’une certaine forme d’art contemporain en vertu de laquelle l’art peut se désigner comme tel. Et on ne discute pas ! Parce que l’objet est art, parce qu’il met en scène du caca et du pipi, il est formidable par nature. Et chut ! Taisez-vous les réacs ! 

 

            Certes, on ne peut réduire ce film à ces seules et médiocres sporulations cinématographiques. Oui il  y a bien quelques scènes amusantes, malignes et intelligentes ; oui les acteurs sont plutôt bons et la musique bien choisie ; oui le réalisateur tente un moment de tempérer sa critique des ultra-riches en nous faisant voir que même les pauvres peuvent être d’affreuses créatures. Mais cela suffit-il à le récompenser d’une palme d’or ? Et que récompense-t-on exactement ? Une vision ? Un génie ? Une grande œuvre ? Permettez-moi d’en douter. Ne récompense-t-on pas plutôt un petit monde étroitement conformiste qui s’autocongratule de cette œuvre ô combien subversive et iconoclaste ? Ou plutôt, on se demande si ce petit monde, en récompensant ce film navrant, ne cherche pas en dernière instance à prouver à la terre entière que, OUI, lui aussi se sent concerné par les dégâts de l’opulence, lui aussi se désole de ce monde d’apparences, lui aussi se consterne devant le ridicule de ces êtres concupiscents. Cette récompense, en deux mots, c’est une caution morale bon marché. 

 

            Toujours est-il que, avec Sans filtre, un réalisateur de plus rejoint le panthéon de ces hommes « reconnus pour leur seule notoriété ». Et devant cette immense pantalonnade, une seule conclusion s’impose au spectateur : quand on fait sauter tous les filtres, on finit par toucher le fond.

Borigide
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le 24 oct. 2023

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Borigide

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