La Source vive
7.7
La Source vive

livre de Ayn Rand (1943)

La Source Vive c’est, sinon un saut dans l’absolu, du moins une prétention à l’absolu. Car la présentation du libéralisme que nous propose Ayn Rand n’est pas celle d’un libéralisme nihiliste, d’un libéralisme qui vivrait pour lui seul et qui noierait les hommes et les sociétés dans « les eaux glacées » du simple « calcul égoïste ». C’est tout le contraire. Et c’est bien là la force de ce roman. Ayn Rand nous propose en effet un libéralisme moral. Une éthique libérale fondée sur un idéal de raison, d’exigence et de perfection. Une éthique au service du Beau qui cherche à valoriser ce qu’il y a de meilleur en chaque homme. L’idéal aristocratique se confond alors avec l’idéal bourgeois, lesquels trouvent à se cristalliser dans la figure du personnage principal, l’architecte Howard Roark.

Car si Howard Roark est présenté comme un personnage refusant de soustraire sa vie à celle de la communauté, ce n’est pas par misanthropie, mégalomanie ou simple égoïsme. Ce refus, c’est le signe d’une exigence, le marqueur d’une volonté affirmée, celle d’un esprit indépendant qui poursuit un absolu et qui ne négocie pas avec l’esprit du temps. 

Serviteur du Beau, Howard Roark est par là même d’une intransigeance résolue. Combattant de la liberté, il refuse de placer son génie au service des standards esthétiques de son époque, lesquels, par leur conservatisme, font obstacles à la créativité débordante de l’architecte. 

Avec Ayn Rand, on comprend que le capitalisme, c’est l’action de capitaliser sur soi-même ; de faire de ses talents des vertus et de ses compétences des ressources au service l’action honnête. Car Howard Roark, par opposition à Peter Keating, est un honnête homme. C’est à dire un homme qui refuse de se travestir et de goûter aux plaisirs des titres et des distinctions au détriment de son art. 

La Source Vive réalise ainsi la synthèse de deux éthiques : d’un côté, l’éthique bourgeoise, incarnée dans la défense du droit de propriété, de la liberté du commerce et des jouissances matérielles ; de l’autre, l’éthique aristocratique, incarnée dans les valeurs de droiture, d’intégrité, de fidélité à soi-même et d’absolu. La Source Vive, c’est donc la possibilité d’une réconciliation entre deux mondes qui se méprisent et se toisent. 

Hélas, le capitalisme tel que nous le connaissons aujourd’hui n’a rien du capitalisme d’Ayn Rand. Elle même s’en désolerait certainement, regrettant peut être d'avoir été un brin naïve. En effet, notre capitalisme est, du moins en partie, celui de la négation de l’absolu, de la négation du Beau, du Bien et du Vrai en tant que principes tuteurs de l’action individuelle et collective. Celui de la liberté sans son partenaire naturel, la responsabilité. Autrement dit, un capitalisme permissif et anarcho-communiste qui s’accommode peu des valeurs et de la morale, lesquelles sont autant d’obstacles au développement du marché du caprice. Cette éthique capitaliste, celle du relativisme et de la déresponsabilisation des individus, n’est pas celle de l’absolu qu’Ayn Rand nous propose dans La Source Vive. Bien que, par nature, le libéralisme se définisse comme une philosophie politique de restriction de l'Etat et de non intervention de celui-ci dans la vie des individus, ce qui, de fait, s'oppose à l'existence d'une entité chargée de définir le Beau, le Bien et le Vrai, on peut néanmoins saluer la tentative d'Ayn Rand de condenser, au sein d'un personnage archétypal (Howard Roark), ce qui serait un libéralisme bien compris et enviable, faisant intervenir les valeurs de responsabilité, de consentement et d'exigence.

A cette force conceptuelle s’ajoute celle d’un style pur, élégant et précis. Des personnages héroïques, ou anti-héroïques, auxquels Ayn Rand parvient à donner une certaine épaisseur. On peut néanmoins regretter que les personnages d’Howard Roark ou de Dominique Francon n’aient pas été autant développés que celui de Gail Wynand. Sans doute un choix pratique, afin que la romance ne relègue pas au second plan la prétention philosophique de l'oeuvre.

Le Source Vive, c’est donc un grand roman, un roman qui parvient à nous faire apprécier un autre capitalisme et à nous faire sortir des lieux communs souvent débités sur celui-ci. Un livre à faire lire à tous les enfants fous de mai 68, à tous ces socialo-progressistes dupes de notre capitalisme vorace, à tous ces chantres du relativisme pour qui « tout est relatif » et pour qui « tout se vaut ». Non, tout ne se vaut pas et Ayn Rand nous le rappelle avec force, dans un style clair, sobre et poétique. 

Borigide
9
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le 26 oct. 2023

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