Sans Pitié est le troisième long métrage de Sung-hyun Byun, un changement radical pour le cinéaste dont le dernier faits d’armes était d’avoir réalisé Watcha’ wearin’?, une comédie romantique torride introuvable en France. Pourtant, le cinéaste bénéficie d’une cote d’appréciation assez remarquable dans son pays et son film fut présenté sur la Croisette avec une excitation palpable. Depuis quelques années, c’est une tradition pour le Festival de Cannes de mettre à l’honneur la Corée du Sud dans ses séances de minuit. En 2014, les spectateurs avaient pu découvrir The Target, Office avait été diffusé en 2015 et les festivaliers avaient pu voyager à bord du Dernier Train pour Busan en 2016. Thierry Frémaux et son équipe ne pouvaient décemment pas omettre ce petit bijou de nervosité et de virtuosité tout droit venu du Pays du Matin Calme qui, chaque année, nous balance une droite en pleine figure (souvenez-vous de The Strangers). Et si en plus, dès les premières images, Sans Pitié a des allures de Reservoir Dogs et Les Infiltrés, on est en droit de s’attendre à quelque chose de radical. Le réalisateur sud-coréen ne cache d’ailleurs pas son amour pour le cinéma de Quentin Tarantino et Martin Scorsese. Il faut dire que Sans Pitié reprend en partie la trame du film de Scorsese – lui-même remake du film hongkongais Infernal Affairs – mais en change considérablement les ressorts dramatiques. Il en conserve l’élément déclencheur du film, à savoir l’infiltration d’un policier dans un gang sud-coréen spécialiste du trafic de drogues et les multiples rebondissements qui vont en découler. De Reservoir Dogs, il garde le climat de suspicion et la relation paternaliste Mister White/Mister Orange avec ses personnages. Mais en se revendiquant clairement comme film d’action, Sans pitié lorgne davantage du côté du cinéma hongkongais et de ses fusillades explosives. Toutes ces références ne pouvaient donc qu’annoncer un beau programme.



Réjouissante Séance de Minuit au dernier Festival de Cannes, Sans Pitié est un polar nerveux dans la pure tradition du cinéma hongkongais, qui n’oublie pas de crier son amour à Scorsese et Tarantino.



Et en ce sens, Sans Pitié réussit là où d’autres auraient très bien pu tomber dans la facilité et la référence lourdingue. La qualité de Sung-hyun Byun est qu’il s’impose comme un artisan pointilleux qui conserve l’ambiance nerveuse, sèche et élégante des films qui l’ont influencé pour mieux s’engager sur une voie singulière. Car le film se démarque par un refus catégorique du manichéisme. Les policiers ne sont pas gentils et les malfrats ne sont pas méchants. Et la réciproque ne vaut pas plus. Chacun a ses raisons (argent, ambition, etc.) pour exercer les sacrifices qu’il faut. Les deux personnages principaux semblent être dans un premier temps les archétypes du film noir mais ils progressent lentement vers un traitement plus subtil de leur caractère. Il est difficile de deviner leurs intentions, tant celles-ci sont constamment tourmentées par la volonté de s’en sortir et des suspicions réciproques. La manipulation narrative du récit renverse à plusieurs reprises le film avant de véritablement nous dévoiler la psyché des protagonistes. Mais outre sa narration retorse, c’est dans la mise en scène que Sans Pitié est original, ainsi que dans son montage précis qui alterne les scènes d’actions et les séquences plus intimes entre les personnages. Il suffit de voir les scènes de règlements de comptes qui virent à l’anarchie totale pour constater que la caméra effectue des mouvements audacieux et rarement vus dans des espaces aussi confinés. Question narration, le montage pourra irriter ceux qui ne supportent pas les allers et retours dans le temps, spécialement quand les indices visuels pour différencier les époques sont absents, mélangeant ainsi toutes les intrigues si l’on n’est pas un tant soi peu concentré. Certains regretteront aussi que le cinéaste ne se soit pas plus évertué à dresser un état de la criminalité de son pays, Sans Pitié ne disant finalement pas grand chose de la Corée du Sud. Les uns crieront donc à l’esbroufe mais les autres apprécieront largement le spectacle. Pas étonnant alors qu’une standing ovation de sept minutes ait eu lieu lors de la présentation du film à Cannes.


Sans Pitié s’impose donc un film d’action d’une efficacité à toute épreuve, respectueux des codes du polar noir, tout en lui apportant des nuances radicales. Au final, ce qui est perdu en cohérence narrative est contrebalancé par une énergie redoutable qui fait de Sans Pitié, une nouvelle référence du genre.


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Softon
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le 18 juin 2017

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Kévin List

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