La frontière est mince entre film culte et chef d'oeuvre

Je n'avais pas envie de parler de ce film... Si je me lançais sur Scarface, c'était fini, j'allais pondre un roman, un pavé illisible, en déclamant mon fanatisme pour une oeuvre sans pareille que j'ai vu pour la première fois bien trop jeune et qui m'a fait l'effet d'une claque dans la tronche. Effet que je retrouve à chaque nouveau visionnage, parce ce que ce film, cultissime, bouleversant, puissant, outrancier à souhait est dans mon top 10 de mes meilleurs films, à l'instar de Braveheart et le troisième volet du Seigneur des Anneaux, et parce que je ne me lasses jamais de le regarder.
Mais Scarface méritait tout de même une critique de ma part, de par le lien affectif que j'ai avec ce film et l'influence qu'il a eu sur ma perception du septième art, et la machine une fois lancée, on ne peut plus l'arrêter.
Je tiens à avertir de quelques spoilers, je sais qu'il y a l'onglet du même nom pour cacher la ou les dites zones qui froissent ceux qui voulaient la surprise, mais ça rendait la critique moins "adroite" disons, donc, vous voilà prévenus.


Introduction


En 1983, un peu après l'âge d'or du Nouvel Hollywood, Brian De Palma, déjà auréolé du succès de quasiment tous ses précédents films incontestablement devenus des classiques, et à raison d'ailleurs, pond son film le plus choc, car si Phantom of the Paradise reste son chef d'oeuvre d'un point de vue artistique, Scarface est avant tout son film culte et n'a pas à rougir devant les autres monstres filmiques du cinéaste. Ce long métrage, dézingué par la critique lors de sa sortie en salles, a une place à part au sein de la filmographie de De Palma, une place non négligeable dans le curriculum vitae de Al Pacino, ainsi qu'une place toute particulière dans le cinéma et la pop culture en général. Car le fait est que, derrière les critiques majoritairement négatives qu'il y a pu avoir lors de sa sortie, le film s'est entouré d'une véritable base de fans solide et a acquit une putain de fiotte de mes deux couilles (pour rester dans le dialecte du film) de sacrée bonne réputation auprès des cinéphiles, amateurs comme accomplis, tout en se hissant au rang de chef d'oeuvre du cinéma et de la culture populaire en général. Pourquoi ? Et Comment ?


Le contexte


Avant tout, si ce film est sorti après l'âge d'or du Nouvel Hollywood et si les illusions de cette prodigieuse période sont réduites à néant,le fait est que le long métrage en présente les codes, de par son côté radicalement violent pour l'époque et de son parti pris pour ce qu'il s'agit de deux thèmes majeures dans l'histoire du pays à la bannière étoilée : le rêve américain et la drogue, et comment faire une critique de la première thématique avec la seconde.
Scarface est un remake du film éponyme de Howard Hawks, sorti quasiment un demi-siècle plus tôt. Mais si Scarface (1983) en a le titre, le registre et le thème majeur, Brian de Palma en a fait une oeuvre à part entière et surtout à part qui, par son style plus violent et plus décomplexé, l'époque à laquelle se déroule l'histoire et le contexte politique à ce moment, est complètement différente de son prédécesseur, jusqu'aux personnages, leurs actions, ainsi que leur écriture. Ici, l'alcool et le thème de la prohibition sont remplacés par la cocaïne, l'italien devient cubain, l'image romantique du gangster est refaçonnée, reconstruite avec plus de violence, de réalisme, le film devient authentique et s'éloigne du classique de Howard Hawks.
Ce film, scénarisé par un Oliver Stone pas encore fort du succès de Platoon, présente la violente montée au pouvoir d'un réfugié Cubain, Antonio Montana, dit Tony, au sommet de l'empire de la cocaïne à Miami, ainsi que sa chute, inexorable, certes prévisible, mais grandiose.
Un synopsis qui jette les bases quand à l'interprétation de De Palma du rêve américain.


Derrière le chef d'oeuvre, un film culte


Conspué par la critique pour sa violence et son vocabulaire plus que grossier, car à cette époque, c'était le film où l'on entendait le plus de fois le mot "fuck", un record de 207 fois (bien battu depuis, mais en 1983, Scarface était le chef d'oeuvre incontesté de la vulgarité sur grand écran), ce film est l'archétype même du film culte dans tous ses aspects.



Je préfère voir tes fesses que ta gueule, c'est plus agréable à regarder.



Ou encore, parmi les classiques indémodables :



J'ai des mains faites pour l'or et elles sont dans la merde.



Je ne vais pas vous pondre un top des meilleurs citations de Scarface, vous trouverez des compilations un peu partout sur internet. Mais tout ça pour dire que, dans son parler, l'oeuvre transpire le culte, je crois même que, au sein du septième art, jamais un film n'aura eu pareil catalogue de phrases mythiques (en termes de quantité bien sûr, pas de popularité); car chaque scène est ponctuée d'un monologue d'une grossièreté sans nom, ou d'une citation qui reste encore actuellement une référence dans le milieu du cinéma, que les fans se repassent en boucle sur leur ordinateur, et que même le prestigieux classement de l'AFI s'en est emparé.



Say Hello to my Little Friend !



Culte qui n'est d'ailleurs pas à résumer simplement aux dialogues jouissifs, car les scènes s'y rapportant sont tout aussi cultissimes, que ce soit grâce à cette scène sanglante de règlement de compte à la tronçonneuse, à ses sublimes plans rythmés et accompagnés du titre Push it to the Limit de l'ascension de Tony Montana au sommet de l'empire de la drogue, ou encore de la fin. Cette fin monstrueuse d'ailleurs, ce carnage, ce massacre, où Tony Montana, complètement fou, obsédé, armé de sa langue et de son fusil mitrailleur, vociférant et improvisant les pires insultes qu'il peut trouver, criblant de balles chaque personne qui se trouve sur son passage, finit par se faire tuer, se faire tuer par des hommes, mais surtout se faire tuer à cause de son succès et de son pouvoir. Une scène d'anthologie qui a définitivement sa place au panthéon des scènes inoubliables et mythiques du cinéma de gangster, et du cinéma en général.


Et derrière le film culte, le chef d'oeuvre


Mais Scarface, si c'est la débauche de vulgarité que l'on connaît tous, ce n'est pas que ça, et les personnes résumant l'oeuvre à cela sont les mêmes que ceux qui n'ont pas vu le film en entier, faute d'ennui, et qui descendent quasiment tous les films les ayant offusqué par leur langage plus que familier.
Car Scarface n'est pas qu'une succession de scènes cultes et d'injures, Scarface, c'est avant tout Al Pacino. Un grand acteur me direz-vous, le nombre de ses classiques dépasse les doigts d'une main, et voici que l'on sort en premier lieu Le Parrain puis ses suites, L'Impasse, Le Temps d'un Week End et tout le tralala , oui, c'est beau, quelle brillante carrière que celle ci !
Mais attendez un instant, imaginez-vous Al Pacino sans Scarface ? Et pourriez vous imaginer Scarface sans Al Pacino ? Si ce bonhomme excelle dans quasiment tous ses rôles il semble né, au vu de sa prestation, pour incarner le sulfureux et destructeur Tony Montana. Son jeu d'acteur, sa prestance, son accent, sa vulgarité, ses citations, ses mimiques, sa démarche, son aisance à revêtir les costards, à fumer le cigare, à empoigner sa mitraillette, tout dans Tony Montana est Al Pacino ! Car Al Pacino est Tony Montana. Il est violent, orgueilleux, paranoïaque, mégalomane, il ne te parle jamais, il te hurle dessus, t'injure et te mitraille, il ne t'observe jamais, il te fusille du regard avec hargne et haine ! Il est au paroxysme de la folie destructrice, il est à lui tout seul une parodie de la criminalité et de la décadence, ça en devient même malsain à un moment (avec un aparté un peu incestueux où il est question de sa sœur). Il est dans une telle symbiose avec le rôle que nous ne pourrons jamais imaginer un autre acteur, aussi talentueux soit-il, dans la peau de cet anti-héros mythique du cinéma à sa place. La carrière de ce grand petit monsieur, s'il n'y aurait pas le film de De Palma, serait empreinte d'un grand vide.
Et si Pacino est capable de porter ce film seul sur son dos, les autres acteurs, éclipsés par ce géant du cinéma (dont la carrière ne décollera pas vraiment pour certains) ne se débrouillent pas trop mal non plus; Michelle Pfeiffer est sublime, Mary Elizabeth Mastrantonio touchante, Steven Bauer attachant, F. Murray Abraham détestable (alias le nez le plus impressionnant du cinéma américain des années 80).
Si De Palma n'a pas mis la même ambition technique que dans ses films précédents (tels Pulsions ou Phantom of the Paradise), s'il manque certains de ses "petits plus" bien à lui que sont les split-screen dont il est le roi incontesté par exemple, il y a une certaine qualité de mise en scène au sein du long métrage, notamment le travail grandiose sur les décors et l'atmosphère, qui font partie intégrante de l'oeuvre, et un impressionnant jeu de miroirs (encore un petit ingrédient de la sauce De Palma d'ailleurs) dans les scènes en boîte de nuit. Tout est réuni ici pour faire évoluer le personnage dans un univers à sa hauteur, un univers emplit de démesure et de luxure à outrance.
Et comment ne pas faire un détour sur la musique, devenue un peu kitsch et un peu démodée depuis certes, mais superbement composée par Giorgio Moroder ? Rien que le thème principal de Tony Montana est un classique qui ressemble à une marche funèbre, qui accompagne le héros dans son ascension, et ensuite dans sa chute. Épique et parfois psychédélique, cette bande originale est frissonnante, et prend tout son sens à de nombreuses scènes (la mort de Manny par exemple, tué par son ami Tony).


Conclusion quand à un classique incontournable du cinéma


Entre film culte et chef d'oeuvre, il n'y a parfois qu'un pas, et nombreux sont les films qui sont l'un, mais sans être l'autre. Et Scarface, de par la qualité de sa mise en scène, son inoubliable et prodigieux acteur principal qui réussit à rendre attachant la plus exécrable des ordures qui soit, sa musique magistrale, son abondance de scènes et de citations mythiques, son côté violent à n'en plus finir qui bascule parfois dans l'excès, fait l'exploit d'être les deux, un film culte et un chef d'oeuvre. Une véritable critique impitoyable et acerbe du rêve américain, qui frôle la démesure, l'excès et l'overdose dans tous ses aspects, et une oeuvre profondément ancrée dans la culture populaire et qui reste, qu'on aime ou qu'on aime pas, inoubliable et ineffaçable de la mémoire individuelle et collective, qui fait partie du cercle très fermé des indispensables du septième art.

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le 27 nov. 2017

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Tom Bombadil

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