Franchement, il va falloir m’expliquer. Voir School Daze plafonner à une moyenne de 5,7 sur SensCritique, c’est comme regarder quelqu’un juger un plat uniquement en lisant la liste des ingrédients, sans jamais y avoir goûté. On se demande si les gens ont vu le film, ou seulement coché une case “Spike Lee – les premiers films supposément brouillons”.
Parce que School Daze, c’est tout sauf un film mineur. C’est un geste de cinéma fulgurant, un ovni musical, un projet trop vif, trop ambitieux, trop libre pour rentrer dans les petites cases du consensus critique. Une comédie musicale politique, chorégraphiée avec une précision folle, traversée d’une énergie afro-américaine qui déborde littéralement du cadre. Un casting 100% afro, qui joue, chante, danse et vibre comme si chaque scène était une revendication culturelle.
Mais surtout, School Daze, c’est un film où tout le monde existe : les premiers rôles, les seconds rôles, les silhouettes, les choristes au fond du plan. Aucun n’est traité comme simple décor. Chacun ramène une attitude, une gestuelle, un regard, une gouaille typiquement afro-américaine — cette manière de parler, d’occuper l’espace, de répondre, de se tenir, que Spike Lee capte comme personne.
Et parlons-en, du casting :
Laurence Fishburne, bien avant Matrix, incarne un étudiant noir de dernière année, politiquement conscient et socialement engagé. Charismatique sans jamais forcer, il porte le film avec une autorité tranquille, devenant le moteur moral du campus et menant une manifestation anti-apartheid qui donne au récit sa colonne vertébrale politique.
Giancarlo Esposito, flamboyant, campe Dean Big Brother Almighty, président incontesté de la fraternité étudiante Gamma Phi Gamma, microcosme de pouvoir où se jouent hiérarchies internes, rivalités d’ego et codes de respectabilité. Avec sa verve presque pastorale, sa diction affûtée et son sens de la mise en scène verbale, il incarne à merveille la théâtralité de ces organisations étudiantes qui façonnent identités et appartenances.
Ossie Davis, grand nom de la culture afro-américaine, incarne le coach du campus et Bill Nunn, futur Radio Raheem (dans Do the Right Thing), apparaît ici dans un rôle plus discret, encore loin de la stature imposante qui marquera sa carrière.
Spike Lee lui-même s’offre un rôle d’aspirant Gamma, bizut maladroit, nerveux, constamment en décalage. Il apporte une dose supplémentaire d’ironie et de satire, incarnant à sa manière la pression, les humiliations ritualisées et les contradictions absurdes qui entourent la fraternité Gamma Phi Gamma.
Samuel L. Jackson, dans un tout petit rôle mais déjà magnétique, apparaît comme un habitant aigri du quartier, au KFC local. Quelques répliques seulement, mais le mordant est là : énergie sèche, humour grinçant, présence brute — on sent déjà la future légende en germe.
Tisha Campbell, crinière de lionne façon Tina Turner, illumine l’écran à chaque apparition. Elle apporte une vitalité électrique, une présence pop, une expressivité presque chorégraphique, mélange de diva et de performeuse explosive.
Art Evans, que beaucoup connaissent comme le gentil flic de Die Hard 2, interprète ici une figure plus terre-à-terre et chaleureuse. Il sert de repère humain au milieu de l’exubérance générale, un contrepoint discret mais essentiel.
Joie Lee, (la sœur de Spike), aperçue dans She's Gotta Have It, tient un second rôle mais brille par sa fraîcheur. Une douceur spontanée, une vérité simple, une respiration lumineuse qui contrebalance les tensions du campus et humanise le récit.
Sans oublier Kyme, clone troublant de Rokhaya Diallo (au point que ça en devient perturbant lol).
Oui, le film est imparfait.
Oui, c’est foutraque, farfelu, inégal, parfois naïf.
Mais c’est aussi ce qui fait sa force : School Daze respire, déborde, tente, ose.
Il parle d’afrocentrisme, de fraternité, de rivalités internes, de conscience noire, de sororité, de beauté, de cheveux, de couleur de peau, de pouvoir, de communauté — tout en chantant, dansant, riant, dérivant. Une comédie musicale politique, ça ne peut pas être lisse, ça ne peut pas être “propre”.
Alors franchement, voir ce film ramené à un 5,7…
Ça dit surtout une chose : le public et une partie de la critique ne savent plus quoi faire d’un film qui n’essaie pas de leur plaire.
Un film qui ne ressemble à rien d’autre.
Un film qui vit au lieu de se conformer.
Moi, j’ai passé un moment incroyable.
Pas nostalgique, pas indulgent, pas académique : vivant.
Et parfois, c’est tout ce qu’on demande au cinéma.