La plus grande drogue de notre époque est numérique: on sait que tout n’est pas bon mais on y revient quand même parce que la dépendance est là, qu’on s’habitue vite aux facilités qu’offre la technologie (que seraient mes trajets en voiture sans gps…).
L’excellente série Black mirror a bien compris à quel point les petits écarts d’aujourd’hui pourraient devenir les grandes dérives de demain: la série joue sur l’anticipation à plus ou moins long terme. Le spectateur sent le malaise monter au fur et à mesure qu’il s'aperçoit de la possibilité d’en arriver là. Exactement le genre de réflexion qu’on pouvait avoir quand on lisait 1984 il y a encore 20 ans et qu’on jurait que jamais on ne vivrait dans une société de l’hyper surveillance. Aujourd’hui ce sont les administrés eux-mêmes qui réclament à leur mairie la mise en place de dispositifs de vidéo protection...
Selfie prend le même sujet que la série mais pas du tout le même angle: pas d’anticipation ici mais un travail sur notre quotidien et un ton résolument comique. De l’humour teinté de cynisme la plupart du temps: ça grince des dents sans savoir si ce qu’on voit est plus drôle ou pathétique.
Le film se décline sur plusieurs tableaux que quelques personnages servent à relier entre eux.
Chaque pan cherche à mettre en avant un aspect de l’hyper connexion, au point qu’on se retrouve forcément dans l’un ou plusieurs des tableaux.
Seront passés en revue en vrac: la course aux vues, aux étoiles, aux “j’aime”, l’exposition publique de sa vie (volontaire ou non), les rencontres virtuelles par des applications ou des échanges sous le couvert de l'anonymat, les talents mis en avant par la magie d’internet, les non-talents mis en avant par la magie d’internet, l’image encore et toujours….
L’ensemble est cohérent: l’exagération propre à la comédie est légère, ce qui contribue à appuyer l’absurdité de comportements ordinaires qui mis bout à bout renvoient un tableau bien sombre de notre rapport aux écrans noirs.
Les acteurs sont impliqués et bons dans leurs registres respectifs, Blanche Gardin en tête, comme d’habitude, excellente en “Je raconte de navrantes banalités comme si j’étais investie d’une mission divine”.
On passe vraiment un bon moment devant ce miroir à peine déformant de nos travers, toutes les historiettes ne se valent pas mais l’ensemble arrive à trouver son équilibre et le fait de cacher dans chaque partie un rappel aux autres histoires permet aux réalisateurs d’offrir un jeu supplémentaire aux spectateurs.
Voilà une comédie qui est loin d’être banale ou légère, mais qui arrive à taper juste: à nous faire rire de nos contemporains, et de nous-même, qui permet d’alimenter un peu la réflexion que nous pouvons avoir sur notre usage quotidien de la divine technologie.