Plus de 50 ans après la fin de la ségrégation raciale aux Etats-Unis, avec notamment la signature du Voting Rights Act en 1965 par le président des Etats-Unis Lyndon Johnson, le sujet des violences policières et plus généralement des violences pour un motif racial reste malheureusement actuel. En 2015, pour fêter les 50 ans des marches de Selma, qui furent le point culminant du mouvement pour le droit de vote et ont marqué la lutte des droits civiques des Afro-Américains aux États-Unis, le scénariste Paul Webb fait le récit de ce long périple mené par le pacifiste Martin Luther King, et confie la réalisation à Ava DuVernay.
Le film se passe en 1965 et suit le déroulé des marches ayant eu lieu entre Selma et Montgomery, en Alabama, symbole de la lutte pacifiste des afro-américains pour enfin obtenir leur droit constitutionnel de voter. On suit notamment un personnage majeur dans l'organisation de cet événement, le pasteur Martin Luther King, luttant avec une volonté pacifiste contre l'oppression que lui-même et son peuple subisse quotidiennement.
Ava DuVernay signe un film complet et sobre. Le premier point fort du long-métrage est son casting, avec en tête David Oyelowo, qui interprète de manière admirable Martin Luther King, en reprenant ses mimiques, son intonation et sa voix (il s'est entrainé plusieurs années pour pouvoir cerner entièrement le personnage). Tous les seconds rôles (Tom Wilkinson, Carmen Ejogo, Common, Tim Roth, etc) sont également très convaincants dans leurs rôles respectifs.
Il y'a également des choix de réalisation audacieux, avec beaucoup de scènes très difficiles à voir (violences, assassinats...), des gros plans sur les personnages, montrant toutes les émotions qu'ils ressentent (on pense notamment au vieux Cager Lee faisant face à un drame personnel, réconforté par Martin Luther King) et les violences qu'ils subissent. Il y'a également des beaux décors et costumes, et une très belle photographie, avec un grand nombre de scènes se déroulant la nuit. Le choix de la musique est également excellent, avec en prime le Golden Globe et l'Oscar de la Meilleure Chanson Originale pour "Glory", interprétée par John Legend et Common.
Le film est marqué par des scènes formidables, comme les différentes marches entre Selma et Montgomery (notamment celle du terrible "Bloody Sunday"), la scène de Cager Lee, les discours de Martin Luther King (en particulier son magnifique discours final, "How long, not long")...
Il s'agit à la fois d'un film historique et politique, retraçant très exactement le terrible contexte de l'époque, lorsque les membres du Ku Klux Klan (KKK) ne se cachaient pas et n'hésitaient pas à attaquer sans avoir peur d'être pris, lorsque le Président des Etats-Unis ne faisait rien pour aider son peuple, lorsque Martin Luther King luttait pour que lui-même et son peuple les privilèges auxquels ils avaient droit tout en souhaitant maintenir la paix...
Ava DuVernay réussit un film fort, poignant, qui prend aux tripes. L'ouverture du film donne le ton, montrant la mort de quatre petites filles afro-américaines lors du terrible attentat à l'église baptiste de la 16ème rue. La réalisatrice ne se prive pas de mentionner les terribles évènements subis par le peuple afro-américain lors de l'organisation des marches de Selma, comme la mort du militant Jimmie Lee Jackson (tué volontairement par un policier), l'assassinat du pasteur James Reeb par un membre du KKK, les messages de haine subis par les afro-américains... Certaines scènes sont très touchantes, d'autres sont dures, mais ce cocktail difficile à digérer nous force à nous sentir concernés par ce combat. Le film s'achève sur un discours plein d'espoir prononcé par Martin Luther King, avec une question qui reste malheureusement d'actualité : quand vivrons-nous tous ensemble dans la paix ? quand nous sentirons-nous tous égaux ? quand vivrons-nous sans violence gratuite ? quand serons-nous libre de tout cela ?