Incroyable Lubitsch! Voilà qu'en 1933 il nous dévoie en faisant l'apologie du triolisme! Rien moins que ça! Je n'exagère pas tellement. Un chouïa.

Ce ménage à trois immoral enclenché par l'indécision de la belle Gilda (Hopkins) est il est vrai d'abord le fruit d'un gentlemen agreement "no sex" qui bien entendu vole en éclat au premier éloignement venu d'un élément de la triplette.
Comme de bien entendu, l'histoire se déroule à Paris. Il n'y a guère que ces dépravés d'européens qui peuvent imaginer pareil agencement démoniaque et pervertir ainsi de fragiles ressortissants américains.

Ce qui étonne ce n'est pas tant que les personnages puissent penser à se mettre en ménage à trois, sous couvert de leur abstinence tout de même, non plus qu'ils le fassent (au point où ils en sont) et puis ils sont quelque part dans un contexte exotique (les toits de Paris crasseux qui poussent à la débauche animale) mais c'est bien plutôt la faculté (quelle aisance!) de Lubitsch à transformer cette immorale disposition en quelque chose de naturel, plus que souhaitable, impérieuse, nécessaire, vitale. Le trio ne peut vivre séparément.


****SPOILER
Et c'est justement le "no sex", cette hypocrisie qui met le ménage en danger et le corrompt en bout de course.
Ici le personnage de Max Plunkett (Horton) prend toute sa mesure. Il est le personnage droit, moral, bien intégré dans l'ordre de la bonne et haute société. Et c'est justement ce personnage bienséant qui est dans l'erreur. Il figure la société toute entière. Mais c'est lui qui fait passer les apparences, l'accessoire avant les sentiments et les vérités du coeur. Aveuglé par ses soucis de moralité et de convenance il se charge d'essayer de corriger Gilda, de l'épouser mais la priver de liberté, l'enfermer dans un carcan sociétal ne fonctionne pas bien sûr. Elle est femme, lubitschienne, c'est à dire forte, libre, sensuelle et pleine de vie, en un mot épanouie. C'est un mensonge dont elle est le jouet autant que lui. Mais qui se révèle très vite invivable.
Il leur a fallu endurer la souffrance que la société américaine impose à ses éléments réfractaires ou originaux pour pleinement vivre leur amour à trois. Une course, un voyage, une épreuve sentimentale comme un passage obligé pour être soi même et s'accepter.
Et à voir les regards rieurs, les visages complices de ce trio (Hopkins/Cooper/March) il devient impossible de contester les aspirations de ces trublions adorables. Une collégialité qui va de soi.
****fin du spoiler

Grâce à une mise en scène pleine de finesse tout en métaphores et ellipses, des dialogues d'une subtilité rare et des comédiens superbes d'élégance et de rythme. Un film magnifique, d'une modernité qui dépasse l'étonnement pour se rapprocher du trouage de cul plutôt.
Alligator
9
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le 23 janv. 2013

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Alligator

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