Seules les bêtes, quel beau titre , est un film intense, terrible, captivant.
Comme toutes les œuvres importantes, il est inclassable. Thriller, étude sociologique, histoire d’amour, méditation philosophique, il comble tout ce qu’on peut attendre du cinéma en nous proposant par exemple une utilisation extrêmement pertinente de la focalisation.
Grâce à l’art de la mise en scène, nous approchons la réalité par différents angles, une même scène ayant plusieurs significations selon l’angle d’approche.
Dominik Moll arrive même à rendre passionnants de longs échanges retranscrits via des réseaux sociaux que beaucoup de réalisateurs ont utilisé ces dernières années sans autant de talent, se payant même le luxe d’un contexte effarant : un hangar assez piteux où seuls les meuglements des vaches animent l’échange entre un agriculteur et son amour imaginaire, échange qui aurait pu être beau s’il n’était faux. Il est en effet victime d’un « brouteur », manipulé et dépouillé par un jeune noir à des milliers de kilomètres de sa campagne glaciale. Le réalisateur fuit tout manichéisme : ce jeune s’humanise et nous révèle que la réalité est toujours plus compliquée que les simplifications qu’on utilise pour avoir l’impression de la maîtriser.
Les situations multiples et convergentes sont dévoilées peu à peu. Là où certains réalisateurs se plaisent à tromper leur spectateur, à le mener sur de fausses voies ou sur des voies de traverses, Moll construit une architecture minutieuse qui, au gré des dévoilement successifs, nous mène à la terrible vérité.
Cette virtuosité technique n’est cependant pas gratuite.
Sans jamais tomber dans l’irrationnel, l’histoire laisse cependant la place au mystère de vies qui se croisent ; menées par le hasard, le destin ou une certaine forme de fatalité – chacun pourra choisir selon ses croyances. Et finalement, tous les drames vécus trouvent miraculeusement un sens : une enfant dormant dans une voiture, inconsciente des malheurs dont son histoire est l’aboutissement, porteuse d’un avenir meilleur, somme et rédemption de la souffrance du monde.

jaklin
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le 3 mars 2021

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