Il m'avait mit une claque monumentale la première que je l'ai vu. Une claque cinématographique telle que je ne me suis jamais risqué à un second visionnage. Jusqu'à hier... Et je peux aujourd'hui confirmer, qu'au bout de la deuxième fois, ce film est toujours aussi grandiose. Tantôt dans sa narration d'une efficacité surprenante, que dans sa mise en scène absolument fabuleuse.


Se7en, sorti en 1995, représente à juste titre l'oeuvre la plus personnelle de la carrière de ce cher Fincher. C'est un thriller obscur au ton malheureux. Un film qui apporte un regard pessimiste sur l'humanité. L'atmosphère elle-même suffit à décrire cette épouvantable vision. Dans un décor sombre et pluvieux, le désespoir et le chagrin sont dépeint. Le travail laborieux de deux enquêteurs, et la dépression d'une femme en proie au malheur, s'assemblent tous deux pour donner à cette ambiance pesante une impression de morosité et d'abattement. On obtient ainsi cette fameuse atmosphère voulue par Fincher. Celle qui représente l'humain dans son état le plus mauvais, le plus malsain. Tout le monde vit avec ses problèmes. Tout le monde cri, tout le monde pleurs. Le mal, la colère, l'orgueil tout ça se perd dans cette société lugubre. Comme les larmes dans la pluie...


Tout au long du métrage, Fincher nous fait suivre un chemin qui lui va de révélation en révélation. Au cours de l'enquête, on poursuit cette route de plus en plus vite dans une véritable course à la mort. Les meurtres s'enchaînent (ou du moins apparaissent petit à petit aux yeux du duo). Bien vite il est questions de pêchés : des "7 pêchés capitaux". Un obèse, un avocat, une prostituée... Tous y passent au fur et à mesure que le film avance, au bon vouloir de John Doe, le chef de cette grotesque mascarade. Celui qui bat les cartes, les distribue et les place. Celui que cette atmosphère répugne au point de vouloir tuer des "pêcheurs" pour calmer le mal qu'il ressent.


D'un autre côté, il y en a un autre que cette atmosphère "répugne". William Somerset (incarné par l'excellent Morgan Freeman), déplore aussi l'horrible état dans laquelle sa ville/ son monde se trouve. En son quotidien de vieux flic, il voit au fur et à mesure le mal ronger les êtres humains ; les rendre fou. Au milieu de tout ce chaos, il est l'observateur silencieux. Celui qui prend note des malheurs qui adviennent. Celui qui déprime sans un mot, en voyant au fil du temps l'état du monde se dégrader. Mais malgré ses opinions négatives sur la situation en société, il demeure très différent de John Doe. Sa philosophie en est même sérieusement éloignée. Lui est un rationnel, un terre-à-terre qui comprend que l'on doit se satisfaire du monde dans lequel on vit. Que c'est à nous, humains, d'en prendre en soin. Car c'est avant tout notre maison. "Un endroit qui mérite qu'on se batte pour lui".



"Ernest Hemingway a écrit : "Le monde est un bel endroit qui mérite qu'on se batte pour lui". Je suis d'accord avec la seconde partie."



Cette réplique finale de Somerset résume entièrement son état d'esprit.


Enfin, quitte à parler de tous les personnages, comment ne pas mentionner ce célèbre protagoniste, copieusement interprété par Brad Pitt : le jeune inspecteur David Miles. Lui est l'unique homme que cette ville/ce monde n'effraies pas. Car dans ce film, c'est lui "la figure" de l'humain qui peuple ce monde. L'orgueilleux, le paresseux, le gourmand, mais surtout le colérique. Il est celui qui râle quand il pleut, celui qui boude quand l'enquête n'avance pas, celui qui cri quand il ne comprend rien. Et pourtant, il se fiche éperdument du contexte qui l'entoure. Il ne se préoccupe pas du mal dans lequel tout le monde vit. Car il est égoïste. Il n'écoute personne. C'est un humain.


Au travers de cette série de meurtre tous plus abominables les uns que les autres, Fincher réussit à exercer son talent de metteur en scène hors pair. Son sens du suspense dans les divers plans nous laisse bouche bé. Rien que celui révélant le corps obèse et pâle du premier pêcheur (pour la gourmandise) démontre une ingéniosité plus que mémorable. Un plan américain en plongée sur le mort de dos, assis sur une chaise, avec une caméra qui avance lentement, dévoilant ainsi petit à petit (notamment à l'aide de lumières frêles et clignotantes) le décors sinistre dans lequel la police s'aventure... On pourrait aussi nommer le superbe plan zénithal du péché d'avarice, où l'on voit le mot écrit de sang sur la moquette du bureau, ou bien celui de la femme pendue à son lit, ou encore tous ceux de la scène finale.


Les plans s'enchaînent et sont de plus en plus rapprochés sur les visages de Miles et Doe, pour ainsi montrer la fin prochaine des deux pêcheurs. Somerset quant à lui garde son plan poitrine, signifiant son état de spectateur devant ce dilemme moral impossible.


Sinon toujours du côté de la réalisation, comment ne pas aussi parler de la superbe séquence de la bibliothèque, faisant à elle seule ressortir tellement d'émotions ! La détermination de Somerset, transmise grâce à ses cheminements filmés horizontalement à travers les allées. Son sentiment de nostalgie qu'il ressent déjà pour son départ prochain : les amis gardiens qui rigolent en jouant au carte, l'ambiance sereine qui règne dans ce havre de connaissance... Le tout sublimée par une musique d'une noblesse et d'une douceur absolument parfaite. Ce passage symbolise un des rares instants de beauté directe dans cette oeuvre, un sentiment d'apaisement nous envahi, tandis qu'à travers les recherches de l'inspecteur, on voit les premières pistes de l'enquête faire leur apparition...


Dans l'ensemble du métrage, on aperçoit tantôt une esthétique jaunâtre (voir verdâtre) au moment des scènes d'"apaisement" et de chaleur (notamment celles dans la maison de Miles et Tracy, ce qui apportent un aspect réconfortant à l'oeuvre) ; tantôt grisâtre dans les séquences où le sérieux prône (exemple : la course-poursuite sous la pluie). La scène finale elle est très intéressante visuellement dans le sens où le sérieux et la tension sont cette fois représentés avec des couleurs tirant plus sur le jaune clair...


Une théorie probable serait alors que ces couleurs chaudes (symbolisant la vie personnelle de Miles) viennent elles aussi se mêler indirectement à l'affaire. Au milieu du chaos ambiant régnant dans la dernière scène, on verrait donc tout l'aspect privé de Miles déteindre (telle la couleur jaune sur le gris) sur la finalité de l'enquête.


Pour poursuivre sur les différentes caractéristiques de cette dernière scène, il faut aussi mentionner cette incroyable musique (le morceau : "The Envy") si justement composée par Howard Shore. Cette dernière apporte une tension d'une gravité sans limites au récit, et nous rappelle fortement certaines partitions utilisées dans les classiques des vieux thriller (Psychose par exemple, même si celui-ci mise plus sur les aigus, alors que Se7en lui reste le plus souvent dans les graves). Bon et puis que dire des performances du trio... C'est juste magnifique. J'ai rarement vu des prestations aussi fortes et efficaces que celles de Brad Pitt et Kevin Spacey.


Pour conclure, Se7en possède absolument tout ce qui à mes yeux fait d'un film un pur chef-d'œuvre. Une réalisation hallucinante, un montage aux petits oignons (j'en profite encore pour mentionner cette scène de course-poursuite dans l'immeuble, où les plans s'enchaînent vite et où le héros se précipite dans la gueule du loup, c'est simplement fantastique !), un scénario brillant, et des acteurs au top. Mais ce que je retiens surtout de Se7en c'est toute la morale qu'il dégage. Cette dénonciation de la monotonie de la vie humaine, où l'on ne trouve qu'égoïsme et indifférence à tout ce qui nous entoure. Ce portrait brute mais bien réel de l'humanité. Ce tableau du monde peuplé par autant de fous que d'hommes dénués de principes. Alors que faut-il faire ? Vivre dans ce monde, malgré tous ses malheurs ? C'est la seule chose à faire. Mais dans ce cas, battons nous pour lui.

ArtWind
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le 1 nov. 2020

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