Alors qu’il n’avait jusque-là que ALIEN 3 à son actif (film maudit), David Fincher nous pond ce qui va être l’archétype du thriller glauque. Cette enquête policière macabre et dérangeante sur des crimes en série avec un scénario flirtant ouvertement avec l’épouvante avait tout pour devenir un nanar.
Mais le réalisateur est suffisamment malin pour en faire un bijou.
Dès les premières secondes, on est porté par une atmosphère particulière, le générique nous ramenant directement aux films expérimentaux. On ne le saura qu’après, mais c’est notre premier lien avec le tueur.
Dans cette opposition de deux flics obligés de coopérer pour résoudre des meurtres sordides (jeune flic en blouson cuir, avec un flingue automatique, un peu bourrin mais plein de bonne volonté, marié, pas très cultivé et impatient (Brad Pitt, excellent, comme souvent)/ vieux flic quasi retraité traînant son revolver, en imper, célibataire, très cultivé, patient mais ayant perdu toutes illusions (Morgan Freeman, splendide dans ce rôle)), ce qui compte ce n’est pas la manière de commettre les meurtres (on n’en voit que les conséquences, sauf pour un, mais je reviendrais dessus), ni même qui les commet (il s’appelle John Doe, M. X), mais plutôt la vision du monde qu’ils nous renvoient. Un monde moche, glauque, et sans avenir. Et cette atmosphère ne nous quittera pas, même le générique final passé.
Fincher nous met mal à l’aise par plusieurs subterfuges. Tout d’abord, il nous laisse deviner ce qui s’est passé (le summum étant la luxure, avec le godemiché poignard).
Ensuite, il pleut tout le temps dans le film (avec un beau clin d’œil à BLADE RUNNER), sauf sur la scène finale, très ensoleillée, limite saturée, alors qu’elle nous plonge dans le chaos le plus total.
Le rythme du film est volontairement lent, préférant l’observation à l’action (une seule scène de poursuite, avec des coups de feu judicieusement placés à contre temps, poursuite s’effectuant à pied), choisissant une belle scène de recherches dans une bibliothèque à des tas d’analyses par ordinateur.
Et surtout, le seul meurtre commis en live sous nos yeux est du fait du personnage sensé être positif, le flic, David Mills (Pitt).
Vous l’aurez compris, j’adore ce film.
Chaque vision m’en apporte un peu plus, notamment sur la religiosité de l’entreprise. Le scénario ne tire pas de conclusion politique, juste une ébauche sociologique de cette décrépitude. Il partage beaucoup de points communs avec TAXI DRIVER, notamment le fait de nous laisser avec nos doutes et nos questions.
Trop souvent mal copié, il reste le maître étalon du thriller noir.