Branle bas de combat
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Quand je pense à Shame, je pense à sa bande-originale, entêtante et angoissante, portée par les mélodies tragiques d'Harry Escott. Il y a comme un goût d'irréversible et d'inévitable. Comme un goût de coke, et de stupre. Un mal sauvage, un malaise profond, une blessure incommensurable. Ces mots ne sont pas de trop pour décrire le long-métrage millimétré de Steve McQueen, porté par les épaules robustes et félines de Michael Fassbender. Au sommet de son art et de sa beauté brute, l'acteur se dépasse et livre une performance impeccable, à la froideur terrifiante et à l'impudeur dont le spectateur jouit à loisir, aussi voyeuriste que le protagoniste principal.
Plus qu'un film sur le sexe, Shame est en effet un film reconnu pour son thème de l'addiction, et de cette roue obsessionnelle qui broie sur son passage les victimes de cette pathologie typiquement occidentale, et pour l'heure, partiellement incurable. La surabondance qui s'offre aux masses abruties par le métro, par le travail, par les rites sociaux dont on ne semble pouvoir s'affranchir, transforme les individus en monstres blessés, repliés dans leurs cocons de plastique, de béton et de métal pour mieux lécher leurs plaies en solitaire et se repaître de tout ce qui pourrait leur permettre de combler le manque. Car tout est froid, dans la grande ville de New-York, trop vaste, trop anonyme. Les centaines de milliers de lucarnes qui s'offrent aux regards n'abritent qu'un peu plus de monstres encore dont personne ne sait rien. Le monde est trop grand. Les plaisirs s'accumulent, mais leur fréquence et leur répétition semblent amoindrir leur effet et leur résonnance. Ne demeure à la fin que l'impossibilité à aimer, à guérir, à appréhender sa place dans la société.
C'est une fragilité extraordinaire, une vulnérabilité glaçante qui se dégage des traits d'un Fassbender envoûté et envoûtant, à l'image de la ville qui le voit évoluer : à l'apparence superficielle, en parfait contrôle de lui-même, mais qui, dans les heures les plus sombres, révèle tout le vice accumulé, le manque putride et une tristesse palpable. Le tragique est partout, consacré par l'interprétation d'une Carey Mulligan à fleur de peau, et prenant le parfait contrepied de son frère aîné en incarnant la seconde voie : plutôt vivre ses sentiments jusqu'au bout au risque de se les faire piétiner une fois encore qu'accepter la solitude et la morosité. Dans les deux cas, les conséquences sont les mêmes : sang, larmes et impuissance.
On sort de là la tête dans le guidon et le doute au cœur.
Mais ce n'est pas grave. C'est une claque qui vaut le coup.
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Créée
le 28 janv. 2018
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