Père & fille

She Rides Shotgun, nouveau film de Nick Rowland (Calm With Horses), est adapté du roman du même nom de Jordan Harper. Le film nous raconte l’histoire d’un père et de sa fille, lancés dans une cavale à la fois intime et violente.Rowland nous fait comprendre que Polly est le véritable personnage principal. Sa mise en scène épouse son regard : caméra tremblante, embarquée, parfois subjective, parfois à hauteur d’enfant. Par contraste, les transitions ou les plans de présentation d’un nouveau lieu sont tournés en Steadicam, plus stables et soignés, captant la beauté des paysages et renforçant le sentiment de voyage. La route devient alors un élément central, autant décor qu’expérience intérieure.Taron Egerton incarne Nate avec une intensité étonnante. Loin de l’exubérance ou du flegme, il joue un père miné par la panique et la colère contenue. Son jeu tout en retenue laisse parfois surgir des éclats de violence soudains, saisissants. Ana Sophia Heger, elle, impressionne par son naturel et sa justesse : dès leur première halte au motel, l’alchimie entre les deux acteurs est palpable, complémentaire et émouvante. On croit immédiatement à leur vécu commun.Le film, ancré dans un réalisme cru, souligne la violence du monde que côtoie le père. Les dialogues sonnent vrais, jamais artificiels, et l’interprétation renforce cette impression de naturel. On devine le passé trouble de Nate, et lorsque Polly découvre la raison de leur fuite, la dure réalité du milieu criminel les rattrape. C’est là que surgit la première scène véritablement bouleversante, portée par le talent et la justesse des deux acteurs.À travers les personnages croisés sur la route, Rowland esquisse toute une galerie humaine : des figures bienveillantes, méchantes, corrompues, bêtes ou simplement perdues. Odessa A’zion (Until Dawn), bien que peu présente, brille par une prestation touchante, notamment dans une belle scène partagée avec Heger.En parallèle de ce duo, Nick Rowland tisse un fil narratif avec John Park (Rob Yang, Succession), le policier chargé de retrouver la famille. John Carroll Lynch (Zodiac) qui joue Houser, quant à lui, livre une performance terrifiante et glaçante, incarnation brute de la menace. Grâce au rythme et au jeu des acteurs, les deux intrigues s’alternent avec fluidité, sans jamais casser la tension, pour se rejoindre.La violence, quand elle surgit, est sèche, sale, crue. Mais le film ne se résume pas à cela : il navigue en permanence entre brutalité et tendresse. La musique composée par Blanck Mass apporte une poésie inattendue. Douce, onirique, elle sublime les paysages et donne du relief à certaines scènes (notamment celle de l’église). Polly, timide et vulnérable au départ, traverse des situations extrêmes (baston, superette, scène du chien) qui révèlent sa force intérieure. Rowland prouve ici son talent non seulement pour filmer l’errance, mais aussi pour mettre en scène l’action pure : course-poursuite, séquence de torture… tout est réalisé avec une intensité maîtrisée. Le travail sur le son et le montage audio est remarquable, utilisé avec intelligence pour renforcer la tension (par exemple lors de la discussion entre Park et le shérif).En conclusion, She Rides Shotgun est un excellent film, un road trip de fuite en avant à la fois haletant et émouvant. Les scènes d’action comme les moments intimes sont soignés, la violence est réaliste et le suspense saisissant de bout en bout. L’antagoniste est particulièrement cruel, et la relation père-fille touche en plein cœur. Nick Rowland confirme qu’il est un réalisateur à suivre, Ana Sophia Heger s’impose comme une jeune actrice prometteuse, et Taron Egerton prouve encore une fois qu’il est un grand acteur (pour ceux qui ne l’ont pas vu, son rôle dans Tetris mérite aussi le détour).Dans la même veine, je conseille des films comme Sugarland Express, Little Miss Sunshine, Into the Wild, Easy Rider ou Cop Car.