La sortie de Doctor Sleep aura eu, avant même de l'avoir vu, la qualité de m'avoir replongé dans un film aux souvenirs datant d'une dizaine d'années, oeuvre culte qu'on ne présente plus et qui marqua, des années 80 à nos jours encore, une révolution dans la façon de filmer l'horreur et de présenter des totems horrifiques en jouant, notamment, sur la symétrie de jumelles aux tenues identiques couplées à cette rivière de sang déchaînée et traumatisante.


Dès le paysage de l'introduction, que la caméra survole de façon virtuose, nous est imposée l'idée que l'on suivra une leçon de cinéma qui cherchera constamment à montrer des personnages en mouvement; c'est sous-entendu, Shining est une révolution pour son genre et l'art en général qui portera sur une fuite perpétuelle de cette famille dysfonctionnelle, de cette voiture qui fuit le quotidien vers la solitude d'un hôtel jusqu'aux séquences mythiques de conduite de Danny dans les couloirs intérieurs, où la part belle sera faîte aux écarts de son entre parquet et tapis.


Shining marque à ce point qu'on retient même ces changements de tonalité, qu'on se les remémore très facilement à la sortie du visionnage, tout comme on retiendra aisément son thème musical principal et oppressant, iconique et étouffant. Cette réussite sonore entre en parfait écho avec le talent visuel de son réalisateur, qui trace ici l'une des plus belles représentations de l'architecture de l'Histoire du cinéma.


L'Overlook, figure monstrueuse qui fit les beaux jours de la réputation de Kubrick, est fascinant dès son entrée en scène; entre le théâtre d'horreur et la maison du mystère, il intrigue autant qu'il effraie et pose l'une des plus grandes histoires de descente aux enfers horrifiques qu'on a fait en une cinquantaine d'années, s'inscrivant dans la veine d'autres références d'antan qu'il surpasse avec une aisance incroyable, de La Maison du diable à Rosemary's Baby.


De ses couleurs, de ses couloirs, de ses portes, ascenseurs et chambres l'on retiendra l'idée de génie de son réalisateur : inverser la tendance des films d'horreur et créer l'effroi des grands espaces plutôt que de ce qu'on ne montre pas à l'écran. Dans Shining, tout est montré en pleine face, décomposé par un montage désarticulé, le temps modifié, compressé jusqu'à briser tous les repères temporels (en témoignent les recadrages anarchiques des jours sur fond noir) et durant un peu moins de deux heures, le temps de se dire que Nicholson était quand même bien inquiétant de base.


S'il incarne à la perfection son personnage (l'évolution de son jeu, sidérante, fait penser à une vision psychopathe du McMurphy de Vol au dessus d'un nid de coucou), on peut regretter le manque de développement laissé à son métier d'écrivain; Shining, brassant mains thèmes en même temps, aura fait l'impasse sur la profondeur de sa personnalité pour le mettre en contact direct avec la folie ambiante de cet hôtel qui manipule les âmes et détruit les bons.


Sacrifier la profondeur d'un sujet secondaire est-il préjudiciable s'il s'attelle avec autant de soin à approfondir son personnage principal, l'Hôtel, centre de l'intrigue et de l'évolution des Torrance? D'autant plus que cet Hôtel, être vivant qui fait toute la terreur de l'entreprise, sert de propulseur au talent de ses acteurs, de son réalisateur, de toute l'équipe. Shining pourrait se résumer, si l'on aime que s'imbriquent les éléments, à un film construit sur une construction tout autant splendide et inspirante; l'un n'existant pas sans l'autre, cette bâtisse tient sa réussite d'un talent imaginatif unique et en symbiose parfaite, la preuve avec l'ajout au scénario d'un Labyrinthe magnifiquement mis en scène, deuxième entité, froide celle-ci, qui marqua l'imaginaire collectif.


Des allers-retour de l'Hôtel au Labyrinthe, on retiendra cette fuite constante des personnages où l'intellectualité prime sur la violence et dans laquelle l'enfance, à l'inverse du mythe d'Icare, devient père et permet au parent restant de survivre; émancipation des âges et des sexes, Shining inverse les certitudes et glisse habilement d'un statut à l'autre, rend les traqueurs traqués par un élément extérieur, l'Hôtel puis ce Labyrinthe couplé au même climat qui servait à Nicholson de menace pour sa famille (l'arroseur arrosé suivant l'ironie d'Orange Mécanique).


Ce n'est pas anodin si Shining, du haut de ses 40 ans d'existence, reste la référence : son succès phénoménal dépend d'une alchimie artistique unique entre réalisateur, scénaristes, décorateurs, acteurs, soit une équipe entière arrivée dans le bon genre et à la bonne époque. C'est peut-être à cela, aussi, que l'on discerne les grands films des incontournables. C'est, à n'en pas douter, un incontournable parmi les incontournables.

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le 6 nov. 2019

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FloBerne

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