Quoi de meilleur que le titre phare de Metallica pour résumer Shutter Island ?
Pas encore dans la pleine santé de Raging Bull, Le Temps de l’innocence ou Casino, mais le malade parait convenable depuis Aviator et Les Infiltrés, films supérieurs à des monuments d’ennui comme Kundun.
Film à partir du best-seller de Dennis Lehane (Mystic River), Shutter Island traîne quelques débris et autres défauts, mais ce monument reste captivant, compliqué, riche de différents niveaux de lecture.
Shutter Island, asile psychiatrique-île-prison au large de Boston, (le roman de Lehane n’exclut pas que la prison soit dans Boston même) abrite malades mentaux et criminels dangereux. L’administration médico-pénitentiaire y expérimente de nouvelles méthodes.
Quand l’une des malades, pardon patientes disparaît, le marshall Teddy Daniels et son nouveau partenaire Chuck Aule débarquent sur l’île pour enquêter.
Teddy Daniels, est incarné par un Leonardo DiCaprio, qui semble avoir définitivement remplacé Robert De Niro dans le ScorseseCountry. Corporel, vif, fin, jouant avec panache de toutes les parts de son organisme, DiCaprio s’affirme désormais comme un grand acteur, et n’a plus rien à voir avec le gosse prépubère de Titanic, adulé par les midinettes de l’époque.
L’île de Shutter montre toutes les apparences d’un lieu inquiétant, jusque dans son nom (shutter = “Obturateur”) : falaises rudes, encombré d’accès. Il n’y a pas loin entre Shutter et l’île Noire d’Hergé.
Teddy Daniels est obsédé par la libération des camps nazis à laquelle il a contribué. Il porte en lui la culpabilité de ne pas avoir sauvé les Juifs à temps et d’avoir abattu froidement des prisonniers allemands.
Pour Daniels/DiCaprio et Scorsese, le message parait précis : les Américains n’ont pas assassiné les Juifs mais ils auraient pu arrêter les meurtres en intervenant plus tôt.
Shutter Island appelle aussi une lecture psychanalytique, jouant d’une équivalence entre la traque des policiers et le travail d’analyse. Ce faisant, le film contient sa propre critique, ses propres doutes.
Après avoir suggéré qu’une même ligne dangereuse sous-tendait la politique américaine depuis la libération des camps jusqu’à la guerre contre le terrorisme, Scorsese brouille cette vision de l’Amérique, que l’on pourrait étiqueter paranoïaque sinon complotiste : il amène le spectateur à douter de ce qu’il voit sur l’écran.
Doté d’un cadrage splendide, d’une mise en scène et de dialogues particulièrement travaillé, d’un casting prestigieux, Shutter Island est aussi ponctué de scènes de violences à en faire pâlir un certain Tarantino. En définitive, Scorsese nous fait passer un grand moment de cinéma.