Sibérie Terre Promise : la chaîne, la porte, la route et l'étoile

Film hommage à la Sibérie - colonie principale de l'empire russe - à travers une fresque familiale et historique d'un village sibérien entre 1910 et 1970. La haine entre les riches Solomine et les pauvres Oustioujine sur trois générations est le puissant leitmotiv de cette symphonie en six parties qui dure 3h30. L'ambition de Kontchalovski, aussi démesurée que son sujet, rend la richesse de "Sibériade" inépuisable. Je limite donc mon analyse à quatre éléments symboliques de cette Terre Promise : la chaîne, la porte, la route et l'étoile.


En plein hiver le bagnard Rodion Klimentov, spécialiste en bombes, se réfugie à Iélane et sympathise avec le jeune Kolka. Nikolaï Oustioujine survit en volant des beignets dans le cellier des Solomine. Sa mère s'est noyée et son père le délaisse. Bûcheron, Aphanassi Oustioujine veut percer une route dans la forêt pour atteindre l'étoile la plus lumineuse. Quand il abat un arbre, il entend tous ses congénères gémir : "On marche sur du vivant, on coupe du vivant, on vit par le vivant", explique Aphanassi à son fils. Ce dernier aide Rodion Klimentov à construire un char à voile pour s'enfuir. Mais les soldats tsaristes l'arrêtent avant son départ. Le révolutionnaire remet au garçon son propre collier formé avec les maillons d'une chaîne et lui promet que la Révolution éclatera.


La première génération, celle d'Aphanassi, demeure à Iélane, proche de la nature. Mais la génération suivante, celle de Nikolaï, de Nastia Solomine et de son frère Spiridon , est déracinée. Ils ne cessent de franchir la porte de leur village pour aller vivre au loin, y reviennent et repartent, poussés par la guerre et la révolution. Dans les années 1920, Nikolaï épouse Nastia, qui meurt brûlée vive par des cosaques. Leur fils Alexeï grandit dans un orphelinat, éduqué en communiste fanatique et revient avec son père à Iélane dans les années 1930.


Le collier de bagnard de Rodion Klimentov est porté par Nikolaï puis par son fils Alexeï. Pauvres sous les tsars, les Oustioujine conservent leurs chaînes en Union soviétique malgré leur ralliement au régime. Le pouvoir utilise les pauvres pour ses propres fins comme moteur de l'Histoire. Nikolaï est missionné pour trouver du pétrole, mais Spiridon venge la mort de sa sœur Nastia en l'assassinant. Alexeï reprend le projet pétrolier de son père, réussit dans les années 1960 mais meurt aussitôt.


La route du peuple est cruelle. Le bûcheron Aphanassi, sensible à la souffrance des arbres qu'il abat, meurt la tête dévorée sur une fourmilière. Et la route mène à "La Crinière du Diable", zone de marécages où les gaz méphitiques donnent des hallucinations. Quand Spiridon tue Nikolaï, Alexeï épouvanté quitte le village en jurant de le venger. Il y revient quelques années plus tard fuyant l'orphelinat. Il fait la connaissance de Taïa Solomine mais s'engage aussitôt dans l'armée en 1941. Pendant les combats, il sauve la vie de son commandant (Philippe Solomine) dont il ignore l'identité et la haute fonction.


Après une longue expérience de foreur en Caspienne, Alexeï revient à Iélane dans les années 1960. Il épargne Spiridon mais - vengeance symbolique - défonce au bulldozer l'antique porte du village. Taïa avait longtemps attendu son retour et tombe dans ses bras. Alexeï joue au bel indifférent, préfère se consacrer au forage. Dans un tank amphibie, il laboure frénétiquement "La Crinière du Diable" mais s'embourbe. L'étoile que son grand-père Aphanassi regardait comme un talisman céleste s'avère inaccessible. Le révolutionnaire Klimentov parlait au jeune Nikolaï de Tommaso Campanella qui rêvait de construire la Cité du Soleil. Cinquante ans plus tard, Moscou la rouge fait des rêves matérialistes et souterrains assoiffés de pétrole.


Sur la route maudite parsemée de cadavres, Alexeï découvre du pétrole... et brûle vif dans un bulldozer... Cela sauve la carrière de Philippe Solomine, secrétaire général du comité régional de Sibérie, critiqué au Kremlin pour son incapacité à trouver du pétrole. A Iélane l'incendie d'un puits menace et un bulldozer détruit le cimetière. Les morts sortent de leurs tombes comme des âmes en peine. Les désastres écologiques redoubleront d'ampleur. A la troisième génération, Alexeï, Taïa et Philippe, n'ont plus que la nostalgie de leurs racines à jamais disparues.

lionelbonhouvrier
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le 30 sept. 2020

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