Un commando conjointement mené par le SWAT et le FBI fait une découverte macabre lors d’une descente. Alors que l’endroit est passé au peigne fin, une bombe piège une partie des agents à la recherche de nouveaux éléments. Pour trouver l’auteur de ces méfaits, l’agent Kate Macer est envoyé à la frontière américano-mexicaine où une branche spéciale des forces de police tente de nettoyer la zone. Cependant, les méthodes du groupe induisent une dissonance cognitive forte chez Kate : « quel est mon but dans cette mission ? quelles sont les motivations des gens autour de moi ? jusqu’où peut on aller pour stopper l’influence des cartels ? ».


L’action de Sicario se situe à la frontière du Mexique, mais c’est aussi un symbole fort de l’ambiguïté perdante dans laquelle nous sommes confrontés. En mettant les États-Unis face à ses propres démons, en questionnant la position dominante de la « plus grande démocratie du monde », la frontière devient la démonstration de l’incapacité chronique du pays à éradiquer la grave violence. La politique ne change rien, c’est aux force de l’ordre de tenter d’instaurer un climat de paix sur le territoire. Ainsi, à travers les yeux de Kate Macer (Emily Blunt), la dure réalité nous assomme. En effet, voilà l’une des grandes réussites du film : le spectateur que nous sommes prend part à l’action et ressent parfaitement ce que Kate affronte. Cela influe directement sur notre compréhension de l’histoire car un faux rythme s’installe, décuplé par la frustration de nos interlocuteurs à ne pas vouloir dire la vérité. Le temps s’écoule doucement, les questions s’amoncellent et la situation ne semble pas évoluer. Cela se voit physiquement sur Kate, le visage émacié et le caractère facilement irritable.


Le désert, la frontière, sa barrière et ses tunnels clandestins donnent au paysage un des premiers rôle. Cela se traduit lors des deux points d’orgue, filmés de manière magistrale. Tout d’abord, l’incursion d’un cordon de véhicules américains vers Juarez est un chef d’œuvre de tension. Filmée en partie par de splendides plans aériens, la progression des Chevrolet noires dans un décor effroyablement hostile donne la chair de poule. Le moindre arrêt devient suspect, la moindre seconde fait frissonner. Le véhicule de Kate semble être l’endroit à ne surtout pas quitter. Dehors, la population se rassemble et les cadavres pendus sous un pont ajoutent à la tension globale. Il faut cependant attendre le retour du côté américain pour le climax de cette longue scène, coincé dans les embouteillages avec des individus extrêmement suspects. Le deuxième moment fort est une infiltration dans les tunnels clandestins des cartels où les faibles lueurs du soleil couchant sont remplacées par les lunettes à visions nocturnes des soldats silencieux. Ici, c’est l’incommensurable talent du chef de la photographie Roger Deakins qui grave la moindre image dans les esprits.


Le réalisme donne le ton d’une brutalité rude, viscérale. Les gunfights sont très courts, le bruit de chaque coup tiré explose dans les enceintes et ne cherche donc pas à styliser la violence ni à en mettre plein la vue. Ce sont justement ces infimes détonations qui parlent d’elles mêmes, mieux que n’importe quelle bande son. Pourtant, cette dernière n’est pas en reste et appuie le réalisme de la violence ambiante. Jóhann Jóhannsson réinvente les sons électriques, graves et profonds d’un Hans Zimmer pour « The Beast », une composition parfaitement adaptée au film. Tout comme les violons larmoyants rappelant ô combien le désert inspire la peur et la désolation. Ainsi, Sicario fonctionne également par sa capacité à brouiller les pistes : où s’arrête la réalité ? quand débute la fiction ? Cette manière de troubler le spectateur nous porte tout au long du film.


Évidemment, une grande histoire doit aussi être portée par de grands acteurs. Devant notre regard, celui d’Emily Blunt, deux tronches charismatiques, deux forces opposées s’unissent pourtant dans un but commun. Benicio Del Toro, peu loquace, est le grand mystère que l’on tente de percer. Il représente la clé du scénario, un rôle rempli d’ambiguïté qui peut frustrer au premier abord par son incapacité à vouloir discuter. A côté, le personnage de Josh Brolin trempe malheureusement un peu trop dans le cliché : il est le chef des opérations en tongs, stéréotype du yankee à la cool, adepte du « mal nécessaire ». Malgré tout, cela fonctionne bien et place ces trois personnages au même niveau. Ce qui n’est pas forcément le cas du seul protagoniste mexicain du film, plus un faire valoir au service du message de l’histoire. En somme, de quoi alimenter des débats passionnés au sortir de la séance.


Le génie de Denis Villeneuve a encore frappé ! Après le cérébral Enemy et le terrifiant Prisonners, le cinéaste québécois continue d’impressionner en donnant à des productions hollywoodienne une dimension effective, esthétique et narrative inédite. Sicario transcende ces principes en combinant les forces de ses précédents films pour accoucher d’un thriller irrespirable, efficace comme une grosse droite dans la tronche. La sensation d’être groggy après deux heures mémorables ne permet clairement pas de saisir toute la hauteur du récit du premier coup, mais la grandissante certitude d’avoir vu quelque chose de marquant s’imprègne peu à peu dans nos esprit. Le Traffic de Soderbergh a trouvé son successeur.

ZéroZéroCed
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le 21 sept. 2016

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