La lutte contre le trafic de drogue, et plus précisément contre les cartels mexicains, est l'un des sujets à la mode chez les scénaristes hollywoodiens en panne d'inspiration. Pardonnez-moi l'usage de ce grossier pléonasme mais force est de constater que les films de ce type éclosent à l'écran avec une régularité qui confine à l’écœurement : Traffic, Cartel ou encore Savages, pour ne citer que les plus célèbres, sont là pour prouver le manque total de renouvellement du cinéma actuel. La question qui se pose alors est de savoir si Sicario apporte quelque chose de neuf sur le sujet ? La réponse est malheureusement négative puisque le film de Denis Villeneuve n'échappe pas au formatage en règle : du scénario tristement convenu jusque l'emploi d'une gentille héroïne, aussi terne qu'idéaliste, en passant par l'inévitable Benicio del Toro, rien n'est fait pour revigorer un pseudo genre qui croupie dans ses certitudes. Seules la mise en scène maîtrisée, distillant suspense et tension lancinante, et la bonne qualité de l'interprétation parviennent à maintenir notre intérêt jusqu'à un dénouement hautement prévisible.


Si le sentiment est mitigé à l'issue du visionnage, c'est sans doute parce que le prologue, intense en diable, nous laisser entrevoir une œuvre de caractère : la descente du FBI dans une tranquille villa américaine nous colle immédiatement sous le nez une réalité aussi effroyable que glaçante : des dizaines de cadavres, putréfiés, momifiés, sont découverts dissimulés dans les murs de l'habitation. La violence est omniprésente, latente, se logeant même dans les fondations de l'Amérique profonde ! Le symbole est fort, accrocheur et dérangeant ; quant à la mise en scène virtuose, elle a le don de nous mettre immanquablement l'eau à la bouche...


Tout est indiqué pour que Sicario soit la grande œuvre tant annoncée par les médias, soignée et rigoureuse, s'interrogeant avec pertinence sur l'attitude à employer pour venir à bout d'un ennemi aussi retord qu'insaisissable. C'est une guerre qui ne dit pas son nom à laquelle on assiste... Les frontières, géographiques ou morales, sont désormais caduques et seule la loi du plus fort compte. Seulement, la violence entraîne toujours la violence et rapidement on ne parvient plus à distinguer le bien du mal : au fond, quelle est la différence entre ce baron de la drogue, redoutable criminel et bon père de famille, et le Sicario, l'exécutant de la justice, froid et implacable.


Pour mener à bien son projet, Villeneuve privilégie l'immersion progressive dans l'horreur, dans l'enfer des cartels, à l'utilisation du spectaculaire ou du sensationnel. Ainsi, sa caméra s'accroche aux basques d'Emily Blunt et épouse son regard étonné sur les événements rapportés : c'est celui d'une agent qui perd ses illusions au contact des barbouzes de la CIA ; c'est également celui d'une femme égarée dans un monde machiste et bestial. L'horreur prend forme insidieusement à l'écran et la progression de notre agent dans les entrailles de la bête à tout du périple de Willard à travers la jungle hostile d'Apocalypse Now ; « The horror ! The horror ! »...


Les meurtres, d'adultes comme d'enfants, les corps décharnés, laissés à l'abandon ou suspendus sous un pont, ou encore les séances de tortures ou d'intimidation, se multiplient à l'approche du Pandémonium. Villeneuve ayant le bon goût de maintenir une certaine distance avec cette horreur, s'attardant sur les signes avant-coureurs et la laissant en hors champ, ou en la montrant simplement de loin. La tension est là et les scènes fortes ne manquent pas (le passage de Juarez, l'engouffrement dans les tunnels ténébreux, le règlement de compte dans la villa du baron de la drogue...). Seulement, malgré ses indéniables qualités, Sicario peine à pleinement convaincre.


Il faut dire que si la mise en scène est habile, l'intrigue, quant à elle, reste pour le moins confuse avec des passages qui possèdent l'affreuse saveur du réchauffé. Que tout cela semble vu et revu : le Traffic de Soderbergh, par exemple, étudiait avec bien plus de minutie et de pertinence la guerre contre les cartels, en ne négligeant ni ses causes ni ses effets. Sicario manque de contraste et de profondeur, et donne l'impression de réciter un programme passe-partout qui pourrait être appliqué dans n'importe quel film : les séquences s’enchaîne, mécaniquement, sans âme, sans passion, sans rebondissement. Villeneuve trace tranquillement son chemin, sur cette autoroute rectiligne qu'est devenu son film, sans parvenir à transcender son sujet. Celui-ci tombe vite dans une certaine monotonie, dont le doux ronronnement n'est jamais remis en cause par son interprète principale, Emily Blunt qui a bien du mal à imposer son personnage. Pire, si je puis dire, la volonté initiale de mettre dos à dos les pratiques du cartel et celles de la CIA se retrouve éclipsée par l'étrange fascination qui entoure le personnage du Sicario, incarné par del Toro : sa représentation comme super tueur à quelque chose d'assez dérangeant. Malgré tout Sicario reste un honnête divertissement, pas désagréable mais qui est loin d'être mémorable.


(6.5/10)

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le 21 mars 2023

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Procol Harum

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