Denis Villeneuve fait son petit bonhomme de chemin. Particulièrement remarqué ces dernières années grâce à Prisoners et dans une moindre mesure Enemy, le cinéaste quebecois fait désormais partie du club des « réalisateurs qui comptent ».
Avec Sicario, l’homme joue son va tout. Sa bascule entre un cinéma triple A ou des productions plus confidentielles. Présenté en compétition officielle à Cannes, les attentes sont immenses pour le dernier métrage de Villeneuve. Sicario, c’est une porte d’entrée dans l’enfer des cartels de drogue mexicains.


Kate Macey, cheffe d’une brigade d’intervention du FBI en Arizona, se porte volontaire pour participer à une opération de grande ampleur à la bordure mexicaine. Elle est prévenue : la mission n’est pas sans risque. Pour preuve, elle aura à se méfier aussi bien de ses alliés que des minions du cartel dans cette opération de la dernière chance pour, croit elle encore, decontaminer la frontière. Comme le dit Matt, l’instigateur de toute cette entreprise, « trouver Diaz (le bad guy, ndr), ce serait comme trouver un vaccin ».



WELCOME TO THE JUNGLE



Le ton est donné. On assiste aux préparatifs. On nous montre de jolis travellings autoroutiers pleins de symboles. La musique se fait pesante et l’on arrive enfin à Juarez, ville-objet aux mains des cartels. Une plongée au cœur d’une merveille cinématographique. Cette cité délétère nous est présentée comme une masse ombrageuse où règnent les pires atrocités. On s’interroge. Des gens vivent-ils vraiment ici ?


La mission d’extraction nous scotche au fauteuil. Les plans, la musique et cette tension anxiogène dirigés d’une main experte par un Denis Villeneuve au mieux de sa forme achèvent de nous rassurer sur la qualité du film. Et puis… Plus rien. Fin du film ? Nenni. Mais le génie se met subitement sur pause. On cherche encore ce qui a pu arriver au réalisateur dans cette seconde partie fainéante qui lève en réalité le voile sur toute l’opération. La révélation, comme souvent, est décevante. Dès l’apparition du laconique Alejandro, brillamment incarné par Benicio Del Toro, on soupçonne. Ou du moins s’offre à nous un panel de trois possibilités maximum, moins réjouissantes les unes que les autres.


Reste qu’il faut porter au crédit du réalisateur une idée particulièrement ingénieuse dans son traitement du sujet. Le message du film est assez simple : peu importe ce que l’on entreprend, la drogue et les cartels seront toujours de la partie. Telle une main invisible. Comme cette araignée métaphorique qui surplombe la ville dans Enemy. Dans Sicario, cette menace invisible conserve son essence. Jamais, à part les pontes et quelques dealers, on ne nous montre le véritable ennemi. La guerre des cartels est sous-jacente. On en observe simplement les conséquences. Cette idée force prend tout son sens lors de l’assaut final, qui n’offre que nos héros en contre-champ. Pas un seul ennemi, pas une seule ombre face caméra. Seulement des coups de feu dans cette artère souterraine, pour espérer remonter au cœur.



UN MANQUE DE PERSONNALITÉ(S)



Sicario n’est pas un grand thriller psychologique à la Enemy. Il n’est pas non plus un rejeton militaire de Prisoners. Comme une synthèse entre deux univers qui tiennent à cœur au réalisateur, son huitième film déçoit dans le peu de soin qu’il accorde à développer ses personnages. Impénétrables, il n’y a guerre que le personnage de Benicio Del Toro qui laisse tomber le masque. Emily Blunt (Edge Of Tomorrow), malgré une performance impeccable dans son rôle de femme de caractère, n’a pas le temps de rendre son personnage attachant. Tout juste sait-on qu’elle est divorcée et désespérément seule. Informations qui, finalement, ne servent en rien le scénario. Le reste du casting ? Anecdotique. Josh Brolin incarne sans effusion un leader inconséquent et taquin, et Daniel Kaluuya ne fera qu’office de sidekick tout le long du métrage.


Malgré tout doté d’images fortes et de plans dont on souhaiterait qu’ils ne se terminent jamais – cette scène crépusculaire avant l’assaut final -, le film de Denis Villeneuve n’est clairement pas un ratage. La première partie du film pose des bases solides et propose une tension palpable qui est malheureusement trop absente de la seconde partie. Les attentes étaient peut-être trop grandes. Reste que Sicario fait office de vitrine pour un réalisateur qui joue désormais dans la cour des grands.


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le 22 oct. 2015

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