Le sang des renégats est semence de... ben, de pas grand-chose, en fait !

Au XVIIe siècle, alors que le Japon est secoué par les persécutions dont les chrétiens sont victimes, les pères jésuites Garupe (Adam Driver) et Rodriguez (Andrew Garfield) décident de partir à la recherche du père Ferreira (Liam Neeson), missionnaire jésuite disparu au Japon il y a des années de cela.


On le sait, Martin Scorsese et la religion ne font pas bon ménage, on l'a vu avec une Dernière tentation du Christ de sinistre mémoire. Toutefois, on est loin ici des délires dangereux dudit film, Scorsese s’étant apparemment assagi sur le plan de la provocation gratuite.
Ici, il s’emploie donc à retracer le récit des persécutions des chrétiens japonais à travers les yeux de deux prêtres portugais. Le projet est louable et pourrait annoncer un film passionnant et prenant. Au lieu de cela, on se retrouve avec une fresque historique de 2h40, pesante, sans relief aucun (l'excellent Robert Richardson, ex-directeur de la photographie de Scorsese, a visiblement fait son temps), et, disons-le franchement, chiante à crever.
De fait, n’est pas Mel Gibson qui veut, et contrairement au superbe Tu ne tueras point, Andrew Garfield se retrouve livré à lui-même, tentant vainement de rendre attachant un personnage sans âme et sans personnalité. En même temps, comment rendre crédible un prêtre catholique qui enjoint ses fidèles japonais de piétiner une image du Christ (ce qui symbolise extérieurement une abjuration de leur foi) sans vergogne, pour sauver leur vie, allant donc ouvertement à l'encontre de l'enseignement qu'il professe par ailleurs ? Personnellement, c'est pas vraiment l'envie qui m'étoufferait de suivre un type qui baisse son froc à la moindre occasion...
A l’image de ce personnage, Martin Scorsese ne semble pas avoir compris le but ni la mentalité des missionnaires catholiques, et il y a fort à penser qu’il est heureux que le réalisateur ait renoncé à prendre l’habit quand on voit la conception qu’il se fait de la religion et de la mission… Car, en effet, quand, comme ces hommes au courage indéniable, qui ont renoncé à tout pour aller répandre leur foi et sauver ceux qui sont persécutés au nom de Dieu, on part à l’autre bout du monde dépouillé de tout, il y a peu de chances qu’on enseigne à ses fidèles que l’abjuration publique n’a pas d’importance tant que la foi est toujours vive au plus profond d'eux-mêmes. Cette conception moderniste de la foi, que Scorsese diffuse dans tout son film, ne cadre pas du tout avec le contexte historique dans lequel il la fait s’enraciner.


Pire, il la pousse à son extrême dans la fin du film, à partir de l’arrivée de Liam Neeson, prêtre défroqué devenu bouddhiste et farouche antichrétien. A partir de là, le récit ne se résume plus qu’au récit de l’apostasie d’un jeune prêtre fervent, qui abjure sa foi soi-disant par charité envers des chrétiens qui ont pourtant voué leur vie au Christ, et qui, comme tels, sont donc prêts à mourir pour lui… Un détail que le père Rodriguez a du oublier au moment de son abjuration...
Hypocrisie suprême, l’interminable séquence finale cherche à nous faire croire que, malgré son abjuration publique et la vie qu’il a menée après à bannir tout objet chrétien du Japon, le père Rodriguez serait resté fidèle à sa foi originelle au fond de lui-même. Mais c’est encore pire ! Car comment imaginer qu’un prêtre catholique ose se regarder dans le miroir, alors même qu’il mène publiquement une vie en totale contradiction avec ce qu’il croit ? Et comment imaginer qu’un prêtre parti pour le Japon en brûlant de convertir les âmes et d’aider les chrétiens à mourir sans renier leur foi puisse avoir, par son exemple, poussé de nombreux fidèles à abandonner publiquement leur religion ?


Le film de Scorsese, malgré une reconstitution rigoureuse, s’enfonce donc dans une vision totalement anachronique de son sujet, tombant dans le piège sacré de l’historiographie : envisager une époque passée avec des critères et des conceptions actuelles. C'est bien dommage, car la volonté de proposer une réflexion sur le doute que peuvent ressentir les missionnaires face aux persécutions subies par leurs fidèles était plus que prometteuse. Seulement, ça ne prend à (presque) aucun moment...
C’est d’autant plus décevant que la première heure de film montrait ce qu’on était en droit d'attendre d’une telle œuvre : il est effectivement cent fois plus poignant et plus immense de voir des chrétiens mourir pleins d’espérance en chantant le Tantum ergo, sachant que leur sacrifice n’est pas vain, ou encore de voir des prêtres lutter contre le doute et les tentations, plutôt que de voir ces derniers y succomber allègrement. Ce qui relève pleinement du foutage de gueule, en revanche, c'est le moment où Martin Scorsese montre toute l'immensité de son culot lorsqu'il ose dédier, au début du générique de fin, son film aux chrétiens et aux prêtres japonais : il y a des gens qui osent tout, quand même...
C’est donc avec une sérieuse amertume qu’on sort de ce film déprimant qui passe complètement à côté de son sujet, n’offrant qu'une trop vague lueur d’espoir et de rédemption à la fin de son récit, mais qui a au moins un mérite : celui de montrer que, si le sang des martyrs est semence de chrétiens, celui des apostats, lui, ne vaut pas tripette.

Tonto
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le 8 févr. 2017

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Tonto

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