On a assez dit et répété que Silence est un projet qui hante Martin Scorsese depuis de longues années. Mais pourquoi, d'ailleurs, si ce n'est parce que le roman de Susaku Endo brasse toutes les thématiques qui agitent le cinéaste, ancien séminariste, on le sait : la foi, le doute, la violence, l'ouverture au monde. Petite parenthèse : dans le futur, Martin Scorsese sera sans doute aussi célébré pour son rôle à la tête de sa Fondation pour la restauration de films du monde entier que pour sa prestigieuse carrière de réalisateur. Silence donc, que l'on peut considérer au fond comme une sorte d'autobiographie ou tout du moins d'une synthèse de vie, où le mystère de la foi tient l'une des premières places. Déjà, le film n'est pas spectaculaire, il est même relativement austère, exigeant même, qualificatif souvent employé en lieu et place d'ennuyeux, ce qui n'est absolument pas le cas ici. 161 minutes, oui, mais qui n'ont rien d'un étouffe-chrétien, si l'on ose dire. Pour commencer, la mise en scène ample et majestueuse glorifie les paysages maritimes et les processions dans la brume, c'est magnifique. Ensuite, s'il est vrai que Silence est bavard (sic) et qu'il faut bien admettre que nos jésuites portugais parlent anglais, cela n'enlève rien à la limpidité d'une intrigue intelligemment menée et clairement exposée, ce qui pas s'y fréquent dans un cinéma contemporain où l'on cache un certain vide narratif en complexifiant le récit au possible. Le film n'est pas exempt de longueurs et de répétitions mais cela n'est rien dans une oeuvre qui propose (plutôt qu'impose) une vision très personnelle de la croyance religieuse, doutes et remises en question comprises. On n'est pas obligé de la partager, cette vision, mais au moins convenir qu'elle puisse être écoutée et discutée, de la part d'un cinéaste qui est un auteur à part entière et qui n'a pas peur d'aller au "front" avec un sujet dont le défi est de s'adresser aussi bien aux croyants qu'aux athées et aux agnostiques. Silence est ouvert au questionnement y compris lorsque cette histoire des derniers prêtres au Japon prend une résonance particulière dès lors qu'on lui trouve des échos très contemporains. La mission de ces jésuites en terre étrangère ressemble à une tentative de colonisation des esprits en imposant une religion qui correspond mal à une culture basée sur d'autres coutumes. L'humilité des jésuites et leur caractère de martyrs est aussi au service d'une cause totalitaire et fanatique, du moins on peut la voir comme telle. Cette ambigüité est aussi dans le film au milieu d'une foultitude de thèmes pas nécessairement creusés mais qui l'enrichissent de façon souterraine. A chacun son Silence, en quelque sorte, avec la liberté d'y voir tel ou tel message. Andrew Garfield, beaucoup plus inspiré que dans Tu ne tueras point, porte une grand partie du film sur ses épaules. Tâche écrasante dont il se tire bien au détriment d'un Adam Driver moins présent et qui parait peu à l'aise, moins en tous cas que dans Paterson. L'espace de quelques scènes, Lima Neeson montre de son côté quel comédien extraordinaire il peut être pour peu qu'on lui donne du grain à moudre. Enfin, très bonne interprétation de la part des comédiens japonais et notamment de Yosuke Kubozuka, savoureux Judas (de l'humour dans Silence, si, si, il y en a !). On ne prend pas nécessairement de plaisir immédiat devant Silence mais c'est un film qui travaille longtemps après la projection, et encore, et encore.

Cinephile-doux
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le 9 févr. 2017

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