Rarement le silence n'avait été aussi évocateur

En pensant à ce que j’allais écrire pour cette critique, je me suis rendu compte que Silence partagerait beaucoup de points évoqués précédemment avec The Lost City of Z. Que même si les films se montrent en tout point différents sur leurs thématiques, leurs atouts et défauts restent principalement identiques. Leur tournage se sont montrés tout aussi ardus, leur réalisateur respectif ayant dû sans cesse repousser la production (quoique Martin Scorsese a mis vingt ans à concrétiser son projet, contre les huit de James Gray) et affronter les problèmes naturels (climat capricieux, décors à la limite de l’impraticable, incidents sur le plateau…). Mais il faut bien l’admettre d’emblée : c’est sans conteste Silence qui remporte les suffrages. Non seulement parce que c’est un film signé Scorsese, un cinéaste ayant de la bouteille qui arrive encore à sortir des bijoux tel que Le Loup de Wall Street ; mais aussi parce qu’il nous livre avec sa dernière réalisation une œuvre grandement sensorielle et artistique. Et ce même si certains pesteront contre l’ensemble qui se montre, comme The Lost City of Z, assez austère, hermétique, à un plus large public.


Avec Silence, Martin Scorsese nous plonge dans le Japon du XVIIe siècle. Une époque ignorée de notre société occidentale, qui connut une importante persécution des missionnaires et japonais convertis au christianisme. Durant laquelle deux jésuites portugais vont devoir retrouver, en cachette, leur mentor tout en devant affronter les maux d’une telle rafle : tortures physiques et psychologiques, trahisons omniprésentes, abjection forcée de la foi sous peine de mort… Bref, un cadre et une histoire qui demandaient un travail d’orfèvre au niveau de l’aspect technique du long-métrage. Et comme nous l’avais déjà montré Scorsese auparavant avec des « films en costumes » (notamment Aviator, Gangs of New York et Hugo Cabret), le bonhomme sait s’entourer des meilleurs artisans pour recréer une période à l’écran. Avec Silence, il réitère l’exploit en mettant en scène un Japon des temps anciens plus vrai que nature. Un constat que nous devons au soin et au souci du détail apportés sur les costumes, coiffures, maquillages, décors et autres accessoires, qui transpirent la crédibilité à plein nez. Sans compter que pour accompagner les épreuves éprouvantes de nos personnages principaux, le périlleux tournage en décors naturels y contribue. Ainsi que l’implication sans faille des comédiens (Andrew Garfield ayant été jusqu’à perdre du poids et faire un séjour spirituel pour préparer son rôle). Rien qu’avec ça, nous sommes plongés sans aucune retenue dans une culture retranscrite à merveille ainsi que dans la tourmente des protagonistes.


Mais outre sa représentation de ce vieux Japon, Silence est avant toute chose une œuvre qui ne se regarde pas. Du moins, « pas que », étant donné que le visuel du film est stupéfiant, surtout via la somptueuse photographie de Rodrigo Prieto. Permettant de mettre en valeur la beauté des paysages mais aussi l’horreur vécue par les Chrétiens (la scène de la crucifixion en bord de mer en est le parfait exemple). Non, le nouveau film de Scorsese est avant toute chose sensoriel au possible, et ce grâce à la déclinaison que fait le réalisateur du terme « silence ». Ici, il s’agit de la non réaction de Dieu face à l’appel de ses fidèles. Mais également le silence dont les héros doivent faire preuve. Pour se cacher des persécuteurs. De passer sous silence les erreurs d’un prêcheur en lui pardonnant ses nombreux pêchés (le personnage complexe de Kichijiro). Et pour cela, le film se fait dans le silence le plus total : aucune orchestration musicale, si ce n’est quelques instruments présents à l’écran et rien d’autre ! Un détail technique qui peut paraître anodin, mais qui, ici, donne beaucoup plus d’ampleur à une ambiance au combien spirituelle. Surlignant l’aspect religieux de l’ensemble, tel que l’ombre de Dieu planant au dessus des protagonistes (à n’importe quel moment du film, on sent irrémédiablement sa présence), l’importance de la foi dans le récit et la ressemblance voulue entre le rôle de Garfield et le Christ lui-même.


Pourtant, comme c’est le cas avec The Lost City of Z, Silence voit en son ambiance si riche son principal défaut. En effet, avec un scénario peu mouvementé – entendre par là qu’il n’y a aucune grosse action pour les amateurs du genre – et une durée dépassant les 2h40 de visionnage, peu de spectateurs pourront supporter une atmosphère aussi hermétique et austère. Au risque de s’ennuyer ferme, surtout si l’on n’est pas croyant. Pourtant, ces gens-là louperont une œuvre magistrale qui, en plus de faire découvrir une période historique méconnue, vous propose un moment empli de spiritualisme sans pour autant mettre une religion bien précise en avant. Avec quelques séquences bien pensées, comme celle où le héros a une discussion avec Inoue Masashige (figure importante de la persécution contre les Chrétiens), vont plutôt dans le sens du respect de chacune. Que l’une n’est pas meilleure ou moins bonne qu’une autre. Qu’il s’agit tout simplement de la même chose, la foi des fidèles s’exécutant différemment selon les cultures et les croyances.


Après un film aussi bruyant et dérangé que Le Loup de Wall Street, Martin Scorsese a préféré se tourner vers le calme et la paix intérieure pour nous livrer son œuvre la plus aboutie en termes de cinématographie. Sans doute pas la plus grandiose à cause de son ambiance et de son allure rebutant à coup sûr un plus large public. Mais rien ne change sur le fait que Silence mérite d’être vu par la majorité des gens, et qu’il ne mérite pas du tout l’échec commercial qu’il a connu à sa sortie en salles (un score mondiale inférieur à 11,8 millions de dollars). Vous qui aurez fui ce long-métrage, offrez lui une seconde chance !

Créée

le 16 mai 2017

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