L'amour au Québec, tel que l'imagine une féministe pur jus

[Spoilers]

C'est un plutôt bon film, plutôt agréable à regarder, avec un scénario assez bien travaillé (qui nous montre différents milieux, différents aspects de la vie canadienne) et une réalisation technique qui m'a semblé tout à fait correcte. J'ai notamment aimé certaines transitions du milieu du film, où on ne nous montre que de la campagne canadienne (un survol de forêts d'érables, me semble-t-il) sur une jolie musique crissante (produite notamment par des violons).

J'ai vu les trois films de Monia Chokri, d'abord découverte comme actrice dans Les Amours imaginaires de Xavier Dolan. J'avais assez aimé le premier, j'étais passé complètement à côté du second et donc j'ai plutôt bien aimé celui-ci... avec certaines réserves.

Les personnages sont bien dessinés, les familles existent et sont crédibles, bien que très "canadiennes" (sans doute caricaturales des Canadiens, la beaufitude de certains d'entre eux étant notamment soulignée par ce plan où l'on voit deux voitures côte à côte sur l'autoroute, se glorifiant de porter des bois ou ramures d'élans sur leur toit !). On croit aux personnages, aux familles représentées, aux enfants un peu trop braillards, exubérants, chamailleurs, ayant des envies de vomir ou de faire caca toujours au mauvais moment, etc. (là encore, on est dans la caricature et l'excès).

Le film fait dans l'humour et ça passe. Le ton étant celui d'une comédie, on voit ça comme une charge de la famille et des moeurs canadiennes.

On l'aura compris, c'est un film riche en couleurs, charnu, charnel, où on aime la vie, le vin, le sexe, où on dévore l'existence à pleines dents, où on s'exprime sans frein, et vis à vis duquel le spectateur ne peut rester indifférent, parce qu'il est constamment pris à parti et qu'il n'a pas le temps de s'ennuyer.

Autre (et dernier ?) point positif : le fait qu'il y ait beaucoup de personnages différents ; cela dresse un bel éventail de la société canadienne... tout en donnant des rôles à pas mal de comédiens, forcément contents d'apparaître dans un film qui a de bonnes chances de "marcher" convenablement.

Tout ça, c'est OK.

M'a moins plu le féminisme exacerbé de la réalisatrice. Elle ridiculise quasiment tous les hommes qu'elle met en scène. Aucun ne trouve grâce à ses yeux. Celui-là est un intellectuel, mais il baise mal. Celui-ci baise magnifiquement, mais c'est un plouc mal dégrossi. Le frère de Sophia (l'héroïne principale jouée par la grande amie de Monia Chokri : Magalie Lépine Blondeau) est, même si d'un genre difficile à définir, un autre plouc qui n'a rien à envier à l'homme-des-bois-menuisier (Sylvain/Pierre-Yves Cardinal), avec qui Sophia vit un amour-passion charnel... qui montrera ses limites. Le père du compagnon, avec qui Sophia a été en couple pendant dix ans, commence à être atteint de gâtisme (Alzheimer). Le frère de Sylvain est un macho encore plus fruste que son cadet. Les deux homos qui apparaissent à la soirée d'anniversaire de Sophia (41 ans) sont, eux aussi, on ne peut plus caricaturaux. Etc. Il n'y en a pas un pour rattraper l'autre.

L'héroïne du film, Sophia, vit donc une passion brûlante, torride avec Sylvain. La réalisatrice qui est également la scénariste et dialoguiste nous donne tous les détails de cette liaison, genre : "Tu me fais bander", "C'est moi qui te fais mouiller comme ça ?" "Oui, oui, c'est toi", etc. J'imagine que c'est pour le réalisme des scènes de baise. Passons là-dessus.

Mais une prof de philo, même Canadienne, acheter une laisse de chien et se la mettre au tour du cou pour que son Sylvain (dont elle dit à sa copine qu'il la baisait royalement avant leur brouille et avec qui elle se rabiboche juste) la défonce "comme une chienne" au moment des retrouvailles, est-ce bien vraisemblable ? Et doit-elle alors, le lendemain, se gendarmer que son amant lui ait dit, la veille, dans le feu de l'action (et alors qu'il était "bourré") : "Je vais te troncher à fond" (je ne me rappelle plus le verbatim exact) "puisque c'est ce que t'aimes en moi" ? C'est l'évidence qu'elle "l'aime" d'abord pour ça. Quand on est une prof de philo (qui donne, à ses étudiants du 3ème âge, des cours sur ce qu'est l'amour selon Platon, Spinoza ou Jankélévitch), on se livre forcément à un minimum d'introspection sur sa propre vie amoureuse du moment, donc comment cela a pu lui échapper qu'elle l'aime, d'abord et avant tout, parce qu'il la comble physiquement ?

Aux 2/3 du film (ça doit se situer un peu avant la première brouille et séparation entre les deux amants), Sophia apprend que Sylvain aime bien, au moment de la baise, que la meuf "lui mette un doigt dans le cul" (l'info lui est glissée dans la boîte de nuit où ils finissent la soirée). C'est que, comme le premier psychiatre venu vous le dira, tous les hommes ont une part féminine en eux, c'est connu. Bref, dans ses dialogues, Monia Chokri ne recule pas devant le romantisme poétique le plus pur.

Et tout ça nous mène finalement à cette scène dramatique (supposément gênante pour l'héroïne, et terrible pour le pauvre "homme des bois") où, un genou en terre, il lui propose la bague au doigt devant tous les participants à sa fête anniversaire, et elle qui ne veut pas dire oui, mais qui n'a finalement pas la cruauté de lui dire non devant tout un public qui attend sa réponse. Pauvre Sylvain ! C'est vrai qu'il la baise royalement, mais... il est trop "simple" pour elle. L'intellectuelle Sophia se préfère seule, libre, sans mari et sans enfants. Et donc sur le chemin de retour (de chez son amie où son anniv. était fêté), elle lui rend sa bague, sort de sa Chevrolet, et le laisse rentrer dans ses bois et reprendre ses occupations charpentières.

La voilà, seule, sur la route, la nuit, au milieu des flocons de neige tourbillonnants... Cela fait une assez jolie fin cinématographique. Plutôt triste, puisque c'est la fin d'un amour (si amour il y a eu). Mais foncièrement féministe. Genre, l'homme séduit, utilisé, puis abandonné.

Après tout, pourquoi pas ?

Fleming
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le 28 nov. 2023

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